Un mémo accablant de l’UE sur l’Algérie

Dans un mémo rendu public, à Bruxelles, le jeudi 27 mars 2014, l’Union européenne a épinglé d’une manière très peu diplomatique l’Algérie. Quelques jours après avoir décliné l’invitation officielle du gouvernement algérien à envoyer des observateurs européens dans le cadre de l’élection présidentielle du 17 avril prochain sous prétexte que l’invitation algérienne est venue trop tard, l’Union européenne vient de jeter le masque et de montrer qu’elle a de sérieuses réserves sur la situation politique qui prévaut en Algérie. Dans ce mémo, les critiques européennes visent particulièrement l’absence d’indépendance de la Justice, la nouvelle loi sur les associations jugée non conforme aux normes internationales, le harcèlement subi par les syndicats indépendants et les Ong internationales, etc. La politique économique du gouvernement algérien n’échappe pas non plus aux critiques européennes. Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral du mémo en attendant de revenir de manière critique sur son contenu.

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L’UE et l’Algérie sont liées par un accord d’association (AA), signé en 2002 et entré en vigueur en 2005. En décembre 2011, l’Algérie a officiellement fait part de sa volonté d’entamer des pourparlers exploratoires concernant l’élaboration d’un plan d’action dans le cadre de la PEV renouvelée. Ces pourparlers ont débuté en octobre 2012 sur la base d’une proposition de l’UE. Une contreproposition algérienne a été transmise le 30 juillet 2013 et un premier cycle de négociations s’est déroulé à Alger le 13 octobre 2013.

Aucun rapport de suivi par pays n’est élaboré pour l’Algérie en l’absence d’un plan d’action PEV approuvé.

Situation politique et évolution récente des relations UE/Algérie

Dans le cadre des relations entre l’UE et l’Algérie, des réunions bilatérales régulières ont eu lieu en 2013, au titre de l’accord d’association (notamment une réunion du sous-comité «Dialogue politique, sécurité et droits de l’homme» en mai). M. Barroso, président de la Commission européenne, s’est rendu en Algérie (du 7 au 9 juillet), ce qui a permis, entre autres, la signature d’un protocole d’accord sur un partenariat stratégique en matière d’énergie. Le représentant spécial de l’UE pour le Sahel (M. Reveyrand de Menthon) et le coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme (M. de Kerchove) se sont également rendus en Algérie (du 23 au 25 juin 2013 et du 14 au 16 janvier 2014), ce qui témoigne de l’intérêt des deux parties au renforcement du dialogue et de la coopération sur la sécurité et les questions régionales. Le processus de négociation en vue de l’élaboration d’un plan d’action PEV UE/Algérie a débuté au cours de la deuxième moitié de l’année 2013, avec un premier cycle de négociations à Alger (le 13 octobre). La visite d’une délégation du Parlement européen (du 28 au 31 octobre 2013) a été l’occasion de renforcer le dialogue entre les parlements des deux parties.

La situation politique interne en 2013 a été caractérisée par un important remaniement ministériel entraînant le renouvellement de la moitié des membres du gouvernement, y compris aux postes clés de l’intérieur, de la défense et des affaires étrangères, tout en maintenant le premier ministre, M. Abdelmalek Sellal. Des élections présidentielles se tiendront le 17 avril 2014; le processus de réforme constitutionnelle n’a pas progressé. Une commission d’experts a remis un rapport au président le 17 septembre. Ce rapport n’est pas public et son contenu détaillé est inconnu, mais les deux principaux points évoqués publiquement sont la création du poste de vice-président et la possible extension du mandat présidentiel de 5 à 7 ans. La plupart des partis de l’opposition s’opposent à toute réforme constitutionnelle avant les élections présidentielles.

En ce qui concerne les réformes politiques lancées depuis 2012 dans différents domaines, force est de constater que le processus d’achèvement des dispositions législatives de base par des textes d’application (y compris des décrets d’application) est resté lent. Certaines de ces dispositions législatives – telles que la loi sur les associations – présentent en outre des lacunes manifestes par rapport aux règles et normes internationales. Des projets législatifs importants sur la réforme du code pénal et sur le secteur audiovisuel sont toujours en suspens. En 2013, aucun progrès notable n’a été enregistré dans la mise en œuvre des recommandations de la mission d’observation électorale de l’UE (élections législatives de mai 2012).

Les activités des ONG sont régies par la loi de 2012 sur les associations qui exige un nouvel enregistrement (pour janvier 2014) et restreint la coopération internationale. Un certain nombre d’ONG nationales et presque toutes les ONG internationales sont confrontées à des problèmes dans le cadre du processus d’enregistrement obligatoire. Plusieurs ONG internationales se sont plaintes auprès des autorités de l’UE du fait que leurs représentants soient depuis quelques années déjà dans l’impossibilité d’obtenir des visas pour entrer en Algérie, ce qui entrave leur travail et leur coopération avec les ONG locales. L’UE a soulevé à de nombreuses reprises les problèmes concernant la mise en œuvre de la loi de 2012 sur les associations. En novembre, plus de 30 organisations nationales de la société civile ont lancé une campagne de mobilisation en faveur de l’abrogation de cette loi.

La situation générale en ce qui concerne les droits de l’homme n’a pas changé de manière significative en 2013. On a l’impression d’une absence constante d’indépendance du pouvoir judiciaire et la situation semble s’être détériorée en ce qui concerne la liberté d’association et de réunion (notamment le maintien des obstacles auxquels doivent faire face les syndicats indépendants) et la liberté d’expression (notamment pour les blogueurs). Les femmes sont bien représentées (30 %) au Parlement depuis 2012, mais des dispositions controversées du code de la famille n’ont pas été modifiées.

Questions économiques et sociales

Le niveau élevé des prix des hydrocarbures et la hausse des dépenses publiques, visant en partie à limiter le mécontentement social dans un contexte régional instable, ont été les deux principaux facteurs qui ont influencé la situation économique de l’Algérie en 2013. Des réserves de change confortables et un faible niveau de dette extérieure placent le pays en position de force sur le plan financier et lui permettent de résister aux chocs extérieurs. Toutefois, la forte augmentation des dépenses budgétaires au cours des cinq dernières années, nécessitant un prix du pétrole bien au-dessus de la barre des 100 USD pour couvrir les dépenses budgétisées en 2014, pourrait provoquer des déséquilibres difficilement réparables dans le cas d’un cycle prolongé de baisse des prix du pétrole.

L’Algérie occupe la 153e place (sur 189 économies dans le monde) selon le rapport de la Banque mondiale intitulé «Doing Business 2014».

Les investissements dans le capital humain (éducation, formation, emploi et santé) et la création de réelles possibilités d’emploi (notamment pour les jeunes et les femmes) seront essentiels pour renforcer la croissance durable et inclusive au cours des prochaines années et maintenir la paix sociale. Dans ce contexte, des réformes économiques s’imposent de toute urgence, dans le but de diversifier et de renforcer l’économie. En outre, d’après un rapport publié par l’ONUDC en 2013, le problème de la corruption s’est accentué de manière substantielle au cours des dernières années et, jusqu’à présent, le gouvernement ne s’y est pas suffisamment attaqué.

La croissance économique devrait ralentir, passant de 3,3 % en 2012 à moins de 3 % en 2013. L’inflation devrait se stabiliser à 5 % en 2013 après avoir atteint 9 % en 2012. En 2013, le taux de chômage est resté au niveau des années précédentes, à 10 %. Le déficit budgétaire devrait chuter à 1,2 % du PIB en 2013, après avoir atteint 2,7 % en 2012. La balance courante est positive, mais est passée de 6 % du PIB en 2012 à 1 % en 2013. Les réserves de change de l’Algérie sont passées à 194 milliards d’USD à la fin de l’année 2012, soit l’équivalent de 3,3 années d’importations. Le pays continue d’être trop dépendant des hydrocarbures, qui représentaient 35 % du PIB, plus de 95 % des recettes d’exportation et plus de deux tiers des recettes fiscales en 2012. Les entrées d’investissements directs étrangers sont limitées, en raison principalement du contexte régional et des limitations récemment imposées en matière d’accès à la propriété étrangère et de rapatriement de bénéfices. Elles ont néanmoins considérablement augmenté en 2012, passant à 4,5 milliards d’EUR, et resteront au même niveau en 2013.

Questions commerciales

Les principaux défis que doit relever l’Algérie en matière commerciale sont la facilitation des échanges et la non-intégration du pays avec ses voisins. Les flux commerciaux bilatéraux ont poursuivi leur croissance en 20121 et l’UE est restée le premier partenaire commercial de l’Algérie, absorbant la moitié de ses exportations et de ses importations.

L’Algérie n’est pas membre de l’OMC, mais participe au processus d’adhésion depuis 1987. Au printemps 2013, l’Algérie a repris ses négociations d’adhésion à l’OMC, mais a enregistré peu de progrès. La nouvelle loi de finances pour 2014 pose des problèmes pour le processus de négociation (en raison, par exemple, de mesures ayant un effet discriminatoire sur les importations de voitures, de mesures favorisant les biens produits localement, de certaines interdictions d’exportation, etc.), tout en incluant des mesures (exonérations et réductions fiscales) qui sont positives d’un point de vue économique. L’Algérie a conclu des accords de libre-échange avec des partenaires méditerranéens (à savoir la Tunisie et les États membres de la grande zone arabe de libre-échange).

L’accord d’association UE-Algérie prévoit l’accès en franchise de droits pour les exportations industrielles algériennes et plusieurs préférences agricoles dans la perspective d’une libéralisation progressive d’ici à 2020. Un certain nombre de dissensions commerciales bilatérales n’ont pas pu être résolues en 2013. Les deux questions principales étaient la liquidation en suspens des comptes d’armateurs étrangers et la non‑reconnaissance à des fins commerciales de l’adhésion de la Croatie à l’UE.

Coopération de l’UE

En 2013, l’UE a lancé deux nouveaux programmes visant à soutenir le développement socio-économique, agricole et rural dans les zones défavorisées du pays, pour un montant total de 50 millions d’euros. De même, les conventions de financement de quatre programmes antérieurs dans le cadre du programme indicatif national pour la période 2011-2013 dans les domaines de la pêche, de l’environnement, de la gouvernance et de l’appui à l’accord d’association ont été signées en décembre 2013.

Pour la période 2014-2017, le cadre unique d’appui a été élaboré et prévoit des interventions axées sur trois secteurs: premièrement, la réforme de la justice et la participation citoyenne, deuxièmement, le marché du travail et l’emploi et, troisièmement, la gestion et la diversification de l’économie.

La coopération avec les ONG s’est poursuivie en 2013 avec le lancement de deux nouveaux appels à propositions, dans le cadre de l’IEDDH et des instruments thématiques pour les acteurs non étatiques, ce qui a permis de faire passer le nombre de projets en cours à près de 50. Pour la période de programmation 2014-2020, et conformément à la politique de voisinage révisée de l’UE, le soutien apporté par celle-ci sera modifié en ce sens que les OSC ne seront plus seulement bénéficiaires, mais deviendront aussi acteurs de la mise en œuvre des programmes de coopération, grâce à leur participation régulière à des programmes bilatéraux.

UE-Algérie – CONTEXTE   FAITS ET CHIFFRES

2005: entrée en vigueur de l’accord d’association UE-Algérie.

2008: signature de la feuille de route, qui achève l’accord d’association.

1995-2006: au titre des programmes MEDA I et II, le financement par l’UE de programmes de coopération en Algérie s’est élevé à plus de 500 millions d’euros de subventions (auxquels s’ajoutent 2,2 milliards d’euros de prêts de la Banque européenne d’investissement).

2007-2010: le programme indicatif national (PIN) en matière de coopération portait sur un montant de 184 millions d’euros, financé au titre de l’instrument européen de voisinage et de partenariat.

2011-2013: le nouveau PIN pour cette période portait sur un montant de 172 millions d’euros (plus 10 millions d’euros provenant du programme SPRING) et couvrait deux secteurs: le développement durable et la culture (environnement, développement socio-économique, patrimoine et culture), d’une part, et la croissance économique et l’emploi (transports, pêche et appui à l’accord d’association), d’autre part.

Mars 2012: signature de l’accord UE/Algérie sur la coopération scientifique et technologique.

2012: la première mission d’observation électorale de l’UE (environ 120 observateurs) en Algérie a été déployée pour les élections législatives du 10 mai, à l’invitation des autorités algériennes.

2012: depuis le 1er septembre, nouvelles dispositions en matière de réductions tarifaires (accord d’association); introduction prolongée jusqu’au 1er septembre 2020.

2012-13: la 7e session du conseil d’association s’est tenue à Bruxelles en décembre 2012. La 2e session du sous-comité «Dialogue politique, sécurité et droits de l’homme» a eu lieu à Bruxelles en mai 2013. Ont aussi eu lieu en 2013: la 3e session du sous-comité «Transport, environnement et énergie», la 7e session du dialogue macroéconomique, la 3e session du sous-comité «Coopération douanière» et la 3e session du sous-comité «Société de l’information, recherche, innovation, éducation, audiovisuel et culture».

Juillet 2013 (visite du président Barroso): signature d’un protocole d’accord sur un partenariat stratégique en matière d’énergie.

2013: l’Algérie a présenté une contreproposition de plan d’action PEV en juillet; une réunion destinée à faire progresser les négociations s’est tenue à Alger en octobre.

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