La contribution de John Kennedy à l’indépendance de l’Algérie Par Daho Ould Kablia

Dans le cadre de la commémoration du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, un évènement d’une dimension africaine et internationale dans l’histoire du mouvement contemporain d’émancipation des peuples colonisés, nous reproduisons ici l’intervention d’un ancien cadre de la Révolution Algérienne et qui fut par la suite ministre de l’intérieur de l’Algérie indépendante, Daho Ould Kablia.Comme le rappelle l’auteur lui-même, il ne s’agit pas du fruit d’une recherche académique mais plutôt du témoignage d’un ancien analyste du service de renseingmeent de la Révolution Algérienne, le célèbre Ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG) qui était dirigé par le non moins célèbre Abdelhafid Boussouf. M. Ould Kablia dirige aujourd’hui l’Association des Anciens cadres du MALG.

Dès son déclenchement, la lutte de Libération nationale a suscité l’intérêt des uns et la curiosité des autres. Cette situation était attendue, puisque, dans la Déclaration du 1er Novembre 1954, le FLN avait énoncé, parmi ses objectifs, la nécessité d’engager, avec le concours des pays amis, la bataille de l’internationalisation du conflit afin de donner le meilleur éclairage sur la légitimité de son combat. La Conférence de Bandoeng, qui a réuni au mois d’avril 1955 trente pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, avec la présence d’une délégation du FLN, a été le premier levier de cette internationalisation organisée par de grands pays du tiers-monde.

Succédant à la longue et douloureuse guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie a donc rapidement soulevé l’intérêt de la presse et des médias du monde entier. Ainsi, à côté des premiers pays de soutien, d’autres appartenant à divers continents d’Asie (Philippines, Thaïlande, Malaisie, Iran), d’Amérique latine (Mexique, Argentine, Uruguay, Bolivie) et d’Europe (pays du camp socialiste et pays nordiques) ont marqué de la sympathie pour les aspirations du peuple algérien à la liberté, la justice et la dignité.
La France, quant à elle, continuait à compter sur ses alliés traditionnels du camp occidental liés à elle par des intérêts stratégiques de défense au titre de l’OTAN, ou par d’autres intérêts tout aussi majeurs d’ordre politique, économique ou de solidarité morale.

Ce soutien inconditionnel et cette solidarité agissante vont être cependant ébranlés par un événement aussi important qu’imprévu, qui surviendra quelques mois plus tard : le discours du sénateur J.F. Kennedy devant le Sénat américain le 2 juillet 1957. Un long discours dans lequel il développe un réquisitoire sans équivoque sur la position de son propre pays en faveur de la France qui mène une guerre injuste contre le peuple algérien. Il fustige cette position qui nuit, dit-il, au prestige et au crédit de son pays, porte- parole du monde libre. Il proclame son attachement à la doctrine du président Roosevelt qui souhaitait, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la fin des dominations coloniales à travers le monde entier, pour instaurer un climat de paix, de stabilité et de coopération loyale entre les peuples. Plus qu’un grand virage, c’est un séisme planétaire qui ouvre une voie nouvelle au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dont celui de l’Algérie qui est le sujet principal de son discours.

Le choix de la guerre d’Algérie pour cette sortie de J. F. Kennedy traduit son sentiment sur le fait que cette guerre avait un lien direct avec l’ordre injuste du monde menacé par l’hégémonisme communiste. L’Algérie et l’Afrique du Nord, débarrassées de l’emprise coloniale, doivent figurer dans la carte du monde libre, clame-t-il. De plus, le nom de l’Algérie était inscrit en lettres d’or dans l’Histoire de son pays, qu’on peut rappeler brièvement. En 1792, l’indépendance de son pays a été reconnue par la Régence d’Alger qui a conclu avec lui de nombreux traités. En 1860, le président des États-Unis Abraham Lincoln avait été sensible au geste courageux de l’Émir Abdelkader qui avait défendu les populations chrétiennes de Damas contre les menaces d’élimination de groupes hostiles fanatisés. Il lui offrit à cette occasion une décoration d’honneur et une paire de pistolets. En 1920, l’Émir Khaled, résidant en France, adressa au président américain Wilson une lettre demandant son soutien contre le grave déni des droits élémentaires refusés aux Algériens par l’occupant colonial.
En 1943, le dirigeant politique algérien Ferhat Abbes remet au consul des États-Unis à Alger Robert Murphy une copie du Manifeste pour la Liberté destiné au président américain.
En 1945, le consul des États-Unis à Alger est le seul à produire un compte rendu public réel sur le bilan des massacres opérés le 8 mai 1945 par la soldatesque française contre les populations de Sétif et de sa région, le jour de la célébration de la défaite allemande.

En 1954, lors du soulèvement déclenché par le FLN, la présidence des États-Unis était entre les mains du général Dwight Eisenhower. Celui-ci, qui avait contribué à la libération de la France en 1944, conservait une réelle sympathie pour ce pays dévasté par la guerre. Sa position face au problème algérien était totalement acquise au partenaire français, qu’il soutiendra puissamment sur les plans politique, diplomatique, économique et surtout militaire durant les premières années de la guerre. Il nuancera progressivement sa politique après l’opération aventureuse de la France dans son agression avec la Grande-Bretagne et Israël contre l’Égypte en novembre 1956, suite à la nationalisation du canal de Suez par le président Gamal Abdelnasser, ce qui obligera le président Eisenhower à intervenir pour ordonner l’arrêt de l’agression.

L’effet du discours de Kennedy prenait corps au sein de l’opinion américaine et auprès des puissants syndicats proches du parti démocrate. Le représentant du principal syndicat américain AFL/CIO pour l’Europe Irwing Brown usera de son influence pour faire adhérer l’Union algérienne des travailleurs algériens (UGTA) à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL).
La propagande française sur la guerre d’Algérie est remise en cause par les plus importants groupes de presse et de télévision aux États-Unis qui avaient leurs correspondants en Algérie. Ces journalistes ont beaucoup écrit sur la torture et les atteintes des droits de l’Homme en Algérie. À l’extérieur, d’autres représentants étaient également très actifs auprès des dirigeants du FLN, à l’exemple de Marlin Howe et surtout Joseph Kraft, tous deux du New York Times. Ce dernier sera d’ailleurs l’auteur d’un livre célèbre sur l’Algérie écrit après son séjour dans les maquis algériens en 1957, à l’invitation du Colonel Abdelhafid Boussouf.

Sur un autre plan, la pression militaire française s’accroît en Algérie, face à la résistance du peuple à l’intérieur et au danger permanent créé aux frontières par les attaques de l’ALN contre les barrages électrifiés. Cette situation va pousser l’armée française à un acte irréfléchi de violation de la souveraineté tunisienne par le bombardement volontaire du village frontalier de Sakiet Sidi Youcef le 8 février 1958 faisant des dizaines de victimes parmi les populations locales innocentes. Cet acte soulève l’indignation générale de l’opinion mondiale qui dénonce le sentiment d’impunité dont se prévaut sans retenue l’armée française. La Tunisie saisit le Conseil de sécurité de l’ONU. Les États-Unis viennent une fois de plus au secours des dirigeants français en proposant la médiation anglo-américaine pour apaiser les tensions entre la Tunisie et la France. La mission de conciliation des deux représentants désignés, l’Américain Robert Murphy et l’Anglais Harold Beeley intègre de fait la donnée que les Français voulaient éviter la présence de l’ALN à la frontière qui affronte son armée. Ainsi, les États-Unis sont donc impliqués malgré eux dans le conflit, ce qui conforte l’internationalisation de celui-ci et exaspère au plus haut point les partisans de l’Algérie française. Une série de contestations s’ensuivent qui culminent par la grande manifestation du 13 mai 1958 au cours de laquelle les partisans de l’Algérie française dénoncent la faiblesse du gouvernement français face à l’ingérence, jugée inacceptable, des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans les affaires intérieures de la France. Le Parlement français, manipulé par les ultras, refuse l’investiture de M. Pierre Pflimlin pressenti par le président Coty en qualité de nouveau chef de gouvernement. Devant la persistance de la crise, le général Salan, commandant des forces armées en Algérie, suggère à partir d’Alger de faire appel au général de Gaulle pour sauver la France et l’Algérie française. Celui-ci est finalement adoubé par le Parlement et désigné en qualité de Premier ministre le 1er juin 1958 avant d’être élu, sept mois plus tard, président de la République.
Les évènements de Sakiet Sidi Youcef et les manifestations d’Alger hostiles aux États-Unis vont faire fléchir la position du président Eisenhower, dont le pays va cesser, et ce pour la première fois, de s’opposer à la résolution présentée à la XIIIe session de l’Assemblée générale des Nations Unies (automne 1958) par le groupe afro-asiatique en faveur du droit du peuple algérien à l’autodétermination. Cette position restera constante jusqu’à l’indépendance en 1962. Ce vote neutre des États-Unis est accompagné par la radicalisation quasi générale des pays latino-américains proches d’un tuteur tant utile pour leurs régimes. De l’abstention, ils passeront tous au soutien massif des projets de résolution en faveur des droits imprescriptibles du peuple algérien. Cette position constitue une avancée supplémentaire de reconnaissance pour la cause algérienne et une source de revers supplémentaires pour la diplomatie française.

La relation entre le président Eisenhower et le général de Gaulle va être marquée par une différence d’approche très nette sur les différents problèmes mondiaux en fonction des tempéraments, des idées et des objectifs de l’un et de l’autre. Le président Eisenhower tient à la prépondérance de son pays pour le pilotage de la politique de défense de l’Europe au sein de l’OTAN contre la menace communiste. Il pense de plus que l’implication en Algérie de la totalité des moyens militaires de l’armée française, y compris ceux mis à sa disposition par l’OTAN, affaiblit les capacités défensives de l’OTAN tout en coûtant cher au Trésor américain, obligé de soutenir le déficit financier abyssal du gouvernement français. Le général de Gaulle, pour sa part, conserve une vieille prévention contre les États-Unis et la Grande-Bretagne en raison des contrariétés et des difficultés qu’ils lui ont occasionnées lors de la Seconde Guerre mondiale.

Sur le plan des objectifs, le général de Gaulle rejette l’idée que les unités de l’armée française ainsi que les infrastructures de support, mises à la disposition de l’OTAN pour la défense globale de l’Europe, soient placées sous une autorité autre que celle de son pays. Les relations vont se distendre pendant les mois suivants, lorsque les États-Unis constateront que le général de Gaulle ne cache pas sa volonté de se doter d’une puissance nucléaire indépendante qui le rendrait capable de se passer du bouclier américain.

C’est dans ce contexte de crise que John Fitzgerald Kennedy est élu président des Etats-Unis d’Amérique en novembre 1960. À sa prise de fonction en janvier 1961, il propose, pour freiner l’objectif unilatéral du général de Gaulle, de mettre à la disposition des pays européens membres de l’OTAN, les moyens de dissuasion nucléaire sous la forme d’une Force multilatérale d’intervention, la FML. Le général de Gaulle a toutes les raisons de douter de la loyauté du président Kennedy. Ses services de renseignement soupçonnent la CIA d’être derrière la tentative de putsch des généraux d’Alger en avril 1961, et dans d’autres tentatives de déstabilisation.

Le FLN trouve son compte dans cet isolement de la France sur la scène internationale. Ses représentants, M’hamed Yazid, ministre de l’Information du GPRA, et les représentants de celui-ci à l’ONU, Abdelkader Chanderli et Chérif Ghellal, obtiennent le meilleur accueil auprès de l’entourage du président Kennedy et de nombreux représentants du parti démocrate. De nombreux pays européens manifestent ouvertement leur souhait de voir le général de Gaulle ouvrir des négociations avec le FLN pour trouver une solution rapide et durable menant à l’indépendance de l’Algérie. Des ministres du GPRA et de hauts dirigeants du FLN sont reçus en Italie, en Belgique et en République fédérale allemande. Des personnalités suisses offrent leur concours pour des négociations publiques entre représentants du GPRA et des délégués du général de Gaulle. Ces négociations se tiendront effectivement à partir du printemps 1961 et seront couronnées par les Accords d’Évian en mars 1962.

L’indépendance de l’Algérie, proclamée le 3 juillet 1962, a été saluée par la plupart des personnalités politiques et son mouvement de résistance reconnu comme l’un des plus marquants de cette deuxième moitié du XXe siècle. Celui-ci a fait école et ouvert la voie à tant de décolonisations. Le président Kennedy n’en a pas été le moins ravi, bien au contraire, car il y a vu la consécration de son objectif tel qu’il l’avait tracé dans son discours du 2 juillet 1957. Il prend acte de l’indépendance dans une déclaration officielle à la télévision américaine en adressant ses vives félicitations et en délivrant un message d’amitié au peuple algérien à qui il souhaite tous les succès avec la promesse d’être constamment à ses côtés. L’Algérie conservera de lui un souvenir impérissable car il fut un des plus grands et des plus sincères hommes d’État à accompagner jusqu’à son aboutissement sa glorieuse lutte pour la liberté et la justice.

Source : Le Soir d’Algérie,  16/12/2021

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