L’instabilité est devenue la principale caractéristique de la région du grand Sahara dans la mesure où elle influence tous les aspects à commencer par la sécurité et jusqu’aux questions économiques et sociales et la question des droits de l’Homme. Et au moment où de nombreux habitants de la région constatent que les USA se séparent de la région, les djihadistes et autres combattants étrangers de retour de Syrie et de Libye cherchent à y mettre le feu en important l’extrémisme violent. Pour maîtriser ce feu, Washington a besoin de s’associer aux partenaires internationaux et régionaux en vue d’élaborer et appliquer une stratégie régionale et globale.
Terrain instable
L’instabilité qui règne en Afrique du nord et dans la région du Sahel une menace pour les intérêts français et européens vitaux et la position géographique de la région la lie de manière croissante aux intérêts mondiaux à plus large échelle et en tête de ces intérêts, il faut signaler la stabilité aussi bien à l’échelle nationale que régionale. Et pour cette raison et d’autres, cette région constitue pour les Etats-Unis un objet d’inquiétude croissant.
Durant les deux dernières années, les insurrections du « printemps arabe » n’ont pas permis de réaliser les espoirs d’une démocratisation stable. Et au lieu de cela, la fragilité et la scission ont laissé se développe des espaces qui échappent au contrôle de l’Etat dans les pays qui sont sortis de l’ère totalitaire. En l’absence d’une politique de fermeté en vue de surmonter la scission et d’imposer la souveraineté du droit et la redistribution des ressources, ces espaces constituent un terrain fertile pour la réaction des islamistes.
Malheureusement, les extrémistes qui utilisent la violence peuvent acquérir des entraînements et des expertises de combat en Libye et en Syrie où les rapports estiment le nombre de combattants étrangers sunnites à environ 10 000 (le nombre de combattants chiites aux côtés du régime d’Assad est également estimé à 10 000) et avec le retour de ces combattants dans leurs pays respectifs, ils trouveront des populations frustrées et désespérées perméables aux idéologies extrémistes, ce qui constitue un excellent terrain pour la recrudescence des extrémistes avec toutes conséquences fâcheuses qu’on pourrait redouter.
L’arc des perturbations
La plupart des pays d’Afrique du nord et du Sahel sont confrontés à des crises d’intensité variable. La situation que nourrit l’extrémisme des radicaux, la mal-gouvernance, les coups d’Etat militaires et les troubles sociaux présage de profondes perturbations géopolitiques qui risquent d’encourager les groupes qui utilisent la violence.
La Tunisie postrévolutionnaire, optimiste après l’adoption de la nouvelle constitution continue de lutter pour s’unir autour d’une identité centrale. Les perturbations politiques et l’incertitude ont conduit à un ralentissement économique pendant que les circuits de la contrebande criminelle se développent dans le sud du pays. En plus de cela, le groupe extrémiste « Ansar Al Charia » continue à se développer et à gagner des sympathisants malgré son classement comme organisation terroriste et son étroite surveillance à vaste échelle. Sept terroristes présumés ont été tués la semaine dernière à Tunis par les forces gouvernementales mais la menace dans son ensemble continue à être intacte.
En Algérie, le quatrième mandant du président Bouteflika (malade), source de divergences, semble inévitable, ce qui pourrait être la cause de grandes perturbations au lendemain des élections du 17 avril. Le conflit sur la question du Sahara occidental continue à être brûlant, ce qui freine toute perspective de coopération entre l’Algérie et le Maroc.
De son côté, le Maroc a tenté avec ingéniosité de diminuer l’influence des islamistes et a réussi à limiter le terrorisme interne. Mais son isolement géographique et son exclusion des grandes alliances régionales risquent de diminuer son influence et sa capacité à travailler avec des parties multiples.
Parallèlement à cela, un an après que le Mali a réussi à sortir des griffes d’une rébellion destructrice, le pays continue de souffrir de nombreuses brèches sociales, politiques et sécuritaires et il doit accueillir des forces internationales de maintien de la paix dans un délai raisonnable alors que dans le nord perdu, l’organisation AQMI a réussi à préserver son existence malgré l’intervention de la France et de l’Union africaine et il est fort probable qu’elle s’apprête à reprendre du service.
Enfin, la Libye soufre de divisions tribales et ethniques qui risquent de la conduire à la scission et d’un manque cruel de technocrates compétents. Et sans les efforts internationaux déployés au lendemain de la chute de Kadhafi, Tripoli et Benghazi seraient devenues un Mogadiscio en Méditerranée. Les frontières incontrôlées d’un Etat deviennent des zones de libre commerce pour l’infiltration de combattants aguerris et des armes vers des pays voisins qui ne sont pas préparés à traiter ce genre de menaces. Et si les extrémistes ne sont pas dissuadés, leurs mouvements risquent de se développer et le champ de leurs objectifs risque de s’élargir.
Pourquoi il est important de renforcer l’intégration ?
Les Etats-Unis ont un intérêt permanent dans la consolidation de la sécurité humaine. Plus d’un quart de l’aide extérieure américaine sur le plan bilatéral va à l’Afrique subsaharienne mais il n’en reste pas moins de grands déficits en matière de santé, de gouvernance, d’éducation et d’accompagnement à l’emploi. Par ailleurs les investissements dans ces domaines risquent de s’estomper tant que les questions liées à la sécurité et à la stabilité ne sont pas traitées.
Nous assistons à l’heure actuelle à une montée des menaces sécuritaires pour les Etats-Unis et les intérêts de ses partenaires sans aucun signe de reflux. Et bien que les rapports des services de renseignement indiquent que les groupes terroristes ne menacent pas le sol américain, des attaques visant les représentations diplomatiques américaines en Afrique augurent de meances plus graves à l’avenir. Et si Benghazi ne constitue pas un avertissement suffisant, les organisations terroristes comme AQMI, Ansar Al Charia et Boko Haram, ont planifié ces dernières années des attaques contre des ambassades étrangères, des Ong et des intérêts commerciaux et ont réaffirmé leur volonté de continuer dans ce sens.
Le fait le plus inquiétant est peut-être la présence d’un millier d’extrémistes d’Arique du Nord dans le conflit syrien. Et dans l’éventualité du retour d’un certain nombre à leurs pays avec une expertise, une crédibilité et une détermination plus grandes, ils risquent de se retourner contre les gouvernements partenaires de la région et d’Europe et même peut-être des Etats-Unis. Cette éventualité est d’autant plus inquiétante qu’aucun Etat dans la région transsaharienne n’a réussi à imposer son contrôle total sur ses frontières ou sur les groupes extrémistes qui activent à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières.
Il ne faut pas non plus négliger les considérations économiques. Les échanges commerciaux américains avec la région demeurent faibles et la diminution de la dépendance américaine à l’égard des sources énergétiques extérieures signifie que le besoin en gaz algérien et en pétrole libyen devient moindre pendant que d’autres opportunités peuvent apparaître avec la maturation des marchés comme l’indique le développement des échanges entre la Chine et l’Afrique qui a atteint l’année dernière les 200 milliards de dollars.
Tous pour un et un pour tous
A la fin de l’année dernière, la France a déclaré avoir redéployé ses forces militaires dans la région sahélo-saharienne de manière à pouvoir répondre de manière plus efficace aux menaces extrémistes. En effet, la France a montré toute sa détermination durant les derniers mois par ses interventions au Mali et en République centrafricaine. Même s’ils ont offert leur soutien logistique à ces interventions, les Etats-Unis sont suspectés d’avoir détourné leur attention stratégique loin de la région d’Afrique du Nord.
Ceci ne signifie pas que les Etats-Unis ignorent la sécurité de la région. A titre d’exemple, le Département d’Etat oriente le « partenariat en matière de lutte contre le terrorisme dans la région du grand Sahara » à l’exécution duquel participent plusieurs agences dans le but de combattre les idéologies extrémistes qui se basent sur la violence et de se doter de capacités sécuritaires régionales à travers des programmes dans lesquels les dimensions du développement, de la diplomatie et de la sécurité sont liées. L’initiative a connu un certain succès mais elle est souvent confrontée à des contraintes bureaucratiques et elle fait actuellement l’objet d’une révision stratégique.
En présence de la barrière sécuritaire que constitue l’Océan atlantique, les Etats-Unis peuvent déléguer une part des responsabilités aux partenaires européens surtout que la France continue d’avoir des relations privilégiées avec ses anciennes colonies d’Afrique francophone. Mais du fait même de cette ancienne histoire coloniale, l’intervention française en Afrique constitue parfois un sujet de polémique. En élargissant leur intégration, les Etats-Unis pourraient diminuer les craintes au sujet de l’interventionnisme français dans une étroite coopération avec Paris.
Avant l’arrivée du président Hollande à Washington, le ministre français de la défense, Jean-Yves le Drian a rencontré le mois dernier au Pentagone son homologue américain, Chuk Hagel. Dans leur communiqué commun suite à la réunion, le ministre français a évoqué la constitution d’une « commission mixte de haut niveau » en vue de se concerter sur la coopération en Afrique. Cela doit constituer un début pour une coordination plus large des efforts dans ce domaine. A titre d’exemple, une meilleure synchronisation des missions d’instruction des forces de sécurité et leur équipement devrait renforcer les capacités régionales de la même manière que les programmes complémentaires de la gouvernance et du développement devraient améliorer les situations qui constituent un terreau pour l’extrémisme. Mais le plus important pour les Etats-Unis est de tisser des liens de coopération étroite dans le domaine de l’échange des renseignements en vue d’identifier et de suivre les mouvements des combattants à leur sortie de la Syrie et de la Libye.
Avec la diminution inévitable des budgets de défense et l’accroissement de l’importance des alliances extérieures, Washington est appelé à se doter d’un plan cohérent et multilatéral dans lequel l’Otan sera appelé à jouer un rôle plus grand. Dans le cadre d’un colloque organisé par le Centre d’études stratégiques et internationales en janvier dernier, le sénateur (démocrate du Conecti) Christopher Murphy a déclaré: » Si nous ignorons les conflits régionaux et les zones qui échappent de plus en plus au contrôle de l’Etat (en Afrique), l’Europe et nous, allons en subir les conséquences et les dangers ». Par la même occasion, le sénateur Murphy et le sénateur McCain (républicain de l’Arizona) ont appelé à une implication plus grande de l’Otan et à l’engagement des Etats-Unis pour l’entraînement et l’équipement des forces africaines en matière de lutte antiterroriste et de surveillance des frontières.
Recommandations politiques
Les Etats-Unis peuvent commencer par rassurer ses partenaires internationaux quant à sa détermination à maintenir la stabilité et la sécurité dans la région transsaharienne en mettant en œuvre ce qui suit:
- Utiliser le communiqué commun de Hollande et Obama en vue de s’engager pour le renforcement du soutien franco-américain à l’initiative tridimensionnelle (développement, diplomatie, sécurité). Dans un éditorial commun paru le 10 février dans le Washington Post, les deux présidents ont mis en exergue les efforts déployés en Afrique, ce compris les aides octroyées en matière de sécurité et de développement. Le communiqué commun devrait s’inspirer de cet éditorial pour élaborer les grandes lignes de la coopération future.
- S’engager à coopérer de manière plus étroite avec les organisations régionales et internationales comme l’Union africaine et l’Union européenne.
- Appeler l’Otan à renforcer sa présence en Afrique et mettre l’intégration de la région à l’ordre du jour du prochain sommet de l’organisation en septembre prochain.
- Mettre en œuvre des programmes de développement à long terme qui privilégient l’investissement aux aides traditionnelles.
- Désigner un envoyé spécial pour la région transsaharienne qui jouerait le rôle de médiateur en cas de conflit entre les différentes agences et superviserait la mise en place d’une stratégie renouvelée et cohérente de lutte contre le terrorisme et de consolidation de la stabilité. Cela pourrait diminuer les barrières bureaucratiques devant lesquelles buttent les efforts du gouvernement américain dans ce domaine. Ces mesures ne pourront pas en finir avec l’extrémisme violent dans la région du jour au lendemain. Mais Washington doit exploiter cette occasion pour réfléchir et oeuvrer avec les diverses parties et pour montrer la détermination des Etats-Unis à défendre leurs intérêts et ceux de leurs alliés. Lt-colonel Joshua C. Burgess, 10 février 2014
Le Lt-Colonel Joshua C. Burgess, des forces aériennes américaines, est chercheur-visiteur à l’Institut de Washington. Les conclusions et opinions de l’auteur ne reflètent pas nécessairement le point de vue officiel du gouvernement américain ni celui du Pentagone ou des Forces aériennes américaines.
Source: Washington Institute for Near East Policy-10 février 2014
(traduction française par Hakim Benzine pour l’Institut Frantz Fanon)