Les peuples seraient-ils les principaux acteurs de l’histoire de l’Islam ? L’historiographie les a longtemps relégués au second plan, figés dans la permanence des faits de nature, rangés dans la nomenclature de la descendance de Noé, affublés des stéréotypes que leur avait attribué l’adab de l’époque classique. Tout juste étaient-ils bons à rythmer son histoire millénaire, de part et d’autre d’une césure qui séparerait vers l’an mille les peuples historiques de l’Islam (les Arabes, les Persans) des peuples nouveaux (les Turcs, les Berbères, bientôt les Mongols) qui en triomphèrent alors. Mais ces glissements proprement telluriques échappaient au temps historique, celui des dynasties dont l’énumération compose l’interminable litanie de l’histoire de l’Islam. Se serait-on trompé d’échelle ? Aux origines de chaque dynastie, de chaque aventure historique, jouaient en effet des forces de ralliement et d’identification qui ne sont pas sans rappeler ce que l’anthropologie désigne par ethnogenèse. Qu’elle se logeât dans l’intimité d’une langue, dans le retranchement d’un espace d’origine, dans la récapitulation d’une généalogie commune, l’identité ethnique dont procédaient souvent les forces qui portaient une dynastie au pouvoir pourrait bien ne pas toujours lui avoir préexisté mais être advenue dans le même mouvement.
Le colloque Fabrique de l’ethnie se propose ainsi d’explorer l’ethnicité dans ses rapports avec la langue et l’espace, en marge ou au coeur même des processus politiques qui ont tant de fois modifié la distribution du pouvoir dans l’histoire de l’Islam. Les témoignages en sont certes disparates, selon que l’identité ethnique s’est pérennisée ou s’est effacée, selon qu’elle a ou non triomphé, trouvé ou non son support d’élection, sa niche écologique. Mais à des degrés variables, il n’est guère d’histoires en Islam qui n’en portent la trace. Que l’ethnie soit le produit d’une histoire est une évidence. Que l’histoire de l’Islam fût le produit de l’incessante fabrique de l’ethnie mérite qu’on s’y attarde.
- PROGRAMME -
Jeudi 5 décembre
9h30. Accueil des participants
10h. Séance 1 : les discours de fondation
Sobhi Bouderbala (Université Tunis 1)
Les Yéménites de Fustat et la quête des origines : fabrique de l’ethnie et conflits sociaux en Égypte aux deux premiers siècles de l’hégire
Cyrille Aillet (Université Lyon 2, CIHAM-UMR 5648, IUF)
Le référent ethnique dans les discours de fondation de l’ibadisme au Maghreb médiéval
11h30. Pause café
12h. Séance 1 (suite) :
Marie Favereau (Université de Leyde)
Tatar vs Tartare : quand d’un jeu de mots naît une ethnie
12h45. Repas
14h. Séance 2 : identité et ethnicité
Abbès Zouache (CIHAM-UMR 5648)
L’identité franque en question (Proche-Orient, XIe-XIIIe siècles)
François-Xavier Fauvelle-Aymar (CNRS, TRACES-UMR 5608)
Abyssins musulmans, Abyssins chrétiens (Xe-XVIe siècles) : propositions pour une histoire de différenciation identitaire, économique et culturelle
15h30. Pause café
16h. Séance 2 (suite) :
Julien Loiseau (Université Montpellier 3, CEMM, IUF)
Comment peut-on être circassien ? Identité et ethnicité dans la société militaire mamelouke
Vendredi 6 décembre
9h30. Séance 3 : langue et ethnie
Mehdi Ghouirgate (ERC IGAMWI)
Langue et statut de la langue berbère dans les dynasties de l’Occident médiéval (Almoravides, Almohades et Mérinides) : une approche comparative
Benoît Grévin (CNRS, LAMOP-UMR 8589)
Le judéo-arabe : un concept socio-linguistique et ses limites textuelles
11h. Pause café
11h30. Séance 4 : la naissance des peuples
Emmanuelle Tixier du Mesnil (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
La faillite de l’État omeyyade et l’invention des Andalous
Ahmed Amrani (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Comment la géographie façonne l’ethnie. Le cas des Arméniens de Cilicie (XIIe-XIVe siècle) selon Ibn Khaldûn
13h. Repas
14h30. Séance 4 (suite)
Boris James (INALCO)
Quand une confrérie se fait peuple. La ‘Adawiyya comme force de frappe kurde (XIIe-XIVe siècles)
Gabriel Martinez-Gros (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
L’ethnicité est-elle un fait de nature ou d’Etat chez Ibn Khaldûn ?
16h. Discussion générale