La riposte balistique iranienne à l’escalade militaire israélienne et le risque d’un embrasement régional Par Mohamed Tahar Bensaada

Après avoir fait preuve d’une extrême retenue au lendemain de l’assassinat à Téhéran du leader du Hamas, Ismail Hanieh, l’Iran ne pouvait rester les bras croisés après les dernières attaques israéliennes qui se sont soldées par l’élimination du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah et du commandant adjoint des opérations des « Gardiens de la révolution », le général iranien Abbas Nilforushan.

L’Iran se devait de riposter sous peine de perdre sa dissuasion et, plus encore, son crédit et son influence sur ses alliés dans la région. Les réactions en chaîne que pourrait entraîner une probable réaction israélienne à l’attaque iranienne, peuvent-elles conduire à un embrasement régional ?

La riposte balistique iranienne aux dernières attaques israéliennes était redoutée. Washington s’est chargé de mettre en garde Téhéran contre toute riposte en alternant menaces et signaux d’ouverture.

Au vu des derniers développements sur la scène libanaise, l’Iran était placé devant un défi qui engageait directement sa sécurité nationale et qui le mettait ainsi devant l’obligation d’intervenir.

Les deux seules questions qui demeuraient en suspens concernaient les modalités et l’ampleur de la riposte directe, au moyen d’une attaque balistique, ou bien indirecte via ses nombreux vecteurs régionaux (Irak, Syrie, Yémen) ? Destructrice ou préventive ?

Les premiers signes d’une invasion terrestre du sud Liban, même limitée pour le moment, apparus dès lundi soir, ont constitué un sérieux motif d’inquiétude et ont fini par précipiter une riposte iranienne directe au moyen d’une attaque balistique.

Certes, l’armée israélienne prétend que son incursion terrestre du sud Liban est « limitée » et qu’elle ne vise pas à occuper le sud Liban ni à avancer au-delà du fleuve Litani.

Mais le fait que cette invasion coïncide avec les manœuvres régionales et internationales en vue de désarmer le Hezbollah sous prétexte d’application de la Résolution 1701 du Conseil de sécurité et du déploiement de l’armée libanaise au sud du pays constitue pour l’Iran une sérieuse alerte.

C’est ce qui explique que l’Iran a été obligé de riposter directement aux dernières attaques israéliennes au moyen d’une attaque balistique.

Une attaque iranienne doublement limitée

Cependant, soucieux de sauvegarder la fenêtre diplomatique entrouverte par l’Administration Biden, Téhéran a fait le choix de donner une ampleur limitée à  sa riposte balistique et ce, à deux niveaux :

  • Absence d’effet de surprise. Des sources américaines ont confirmé que Washington a prévenu plusieurs heures en avance le gouvernement israélien de l’imminence d’une attaque iranienne. Si on ne doit pas sous-estimer les capacités de renseignement électronique du dispositif aéronaval américain déployé dans la région, il est aussi fort probable que l’Iran a choisi de prévenir les Américains de son intention d’attaquer Israël dans le but d’amortir les effets militaires et diplomatiques d’une telle attaque.
  • Attaque préventive. Au vu des premières informations disponibles, l’attaque balistique iranienne a tout l’air d’un coup de semonce plutôt qu’une attaque militaire létale. Certes, la propagande israélienne insiste sur les performances de son système de défense aérienne multiforme (Dôme de fer, Arrow, David’s Sling) qui aurait réussi à intercepter 90% des 180 (ou 250 selon d’autres sources) missiles iraniens tirés sur Israël.

Mais le fait que le gouvernement israélien impose un contrôle strict sur l’information à caractère militaire et a enjoint aux citoyens israéliens de ne pas filmer ni partager des images se rapportant à l’attaque iranienne prouve que le pourcentage d’interception des missiles iraniens n’est pas aussi élevé que le prétend la propagande israélienne.

A cet égard, une source iranienne qui a avancé qu’environ 30% des missiles iraniens auraient réussi à traverser le mur de la défense aérienne israélienne (environ 80 missiles sur 250) paraît plus proche de la réalité.

Mais au-delà de cette question technico-militaire, ce qui conduit à penser que l’attaque iranienne avait un caractère préventif est que les missiles balistiques qui ont réussi à contourner les défenses israéliennes avaient ciblé des points militaires sensibles (comme les bases aériennes abritant les F-35 ayant conduit les raids aériens sur la banlieue sud de Beyrouth) mais avec un effet létal relatif et calculé.

L’avertissement est clair. L’Iran a montré sa capacité à cibler des objectifs militaires majeurs avec des missiles guidés que les défenses aériennes israélienne et américaine sont incapables d’intercepter en totalité.

Le sérieux avertissement de l’Iran à ses adversaires 

Certes, la riposte balistique iranienne a été limitée par l’absence d’effet de surprise et par son ampleur. Elle n’en a pas moins constitué un solide avertissement à Israël et à ses alliés américains et britanniques.

L’Iran a réussi à envoyer un signal fort tout en rétablissant, pour le moment du moins, l’équation de la dissuasion régionale qu’Israël a sérieusement bousculée ces derniers jours grâce à ses victoires tactiques indéniables enregistrées sur le front libanais.

Mais par cette attaque balistique spectaculaire, l’Iran a aussi envoyé, par la même occasion, un solide avertissement aux pétromonarchies réactionnaires du Golfe (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis).

Ces dernières ont lancé ces derniers jours, via leurs médias et leurs nombreux relais sur les réseaux sociaux, une campagne de dénigrement contre l’Iran, en distillant le poison du confessionnalisme et en jouant sur la division Sunnites contre Chiites.

Par cette campagne insidieuse, les régimes réactionnaires du Golfe cherchent surtout à masquer leur compromission dans le vaste projet qui vise à redessiner la carte du Moyen Orient sous l’hégémonie américano-israélienne.

Pire, des informations ont fait état récemment de l’intention de l’Arabie saoudite et des Emirats de renforcer l’armée libanaise dans le but d’assurer son déploiement dans le sud du pays au risque de conduire à un dangereux bras de fer avec le Hezbollah.

Quels sont les risques d’embrasement régional ?

Le ministre des Affaires étrangères iranien a déclaré au lendemain de l’attaque iranienne que pour son pays, la riposte s’arrêtait là sauf si Israël décidait de riposter à son tour.

Le gouvernement israélien a déjà fait savoir que l’attaque iranienne ne restera pas impunie. A son tour, le chef d’état-major de l’armée iranienne a menacé qu’en cas de nouvelle attaque israélienne sur son territoire, sa riposte sera plus conséquente.

Quels sont les risques, dans ces conditions, d’un dérapage susceptible de conduire à un embrasement régional ? Même s’il continuera à soutenir ses alliés dans la région comme il ne s’en cache pas, l’Iran n’a pas intérêt à une guerre régionale totale qui verrait les Etats-Unis intervenir directement aux côtés d’Israël.

Si risque d’embrasement régional y aura, il viendra donc d’Israël. En effet, grisé par les victoires tactiques enregistrées récemment au Liban, le gouvernement israélien, poussé par son aile extrémiste, voit qu’il est devant une occasion inespérée d’en finir avec le projet nucléaire iranien et, au-delà, avec la menace géopolitique qu’il constitue dans la région.

Israël pense qu’il n’a rien à perdre dans la mesure où il peut compter sur le parapluie américain. Le bellicisme israélien qui menace la paix régionale, et peut-être mondiale, n’est pas seulement lié au fait que le gouvernement israélien soit tombé sous l’influence de faucons extrémistes d’extrême-droite.

Ce bellicisme trouve son origine et ses racines historiques profondes dans le projet sioniste du « Grand Israël ». Ce dernier ne prendra pas forcément une expression territoriale allant au-delà des frontières de la Palestine. Il lui suffirait d’assurer l’hégémonie politique, économique et culturelle d’Israël dans la région dans le cadre du processus de normalisation « abrahamique » qui prévoit dans tous les cas l’enterrement de l’option d’un Etat palestinien indépendant et viable.

Force est de reconnaître que pour des raisons géopolitiques évidentes, l’Iran et ses alliés régionaux constituent un sérieux écueil qu’il faut surmonter par tous les moyens.

Si certaines forces au sein de l’Empire continuent de parier sur une possible domestication de l’Iran via son intégration au jeu régional (perspective qui a les faveurs de la Russie et de la Chine), il semble qu’Israël ne croit pas du tout à cette option diplomatique et préfère celle de la neutralisation, en tout cas tant que le régime des Mollahs reste en place.

L’Iran le sait et c’est pourquoi il tentera d’envoyer des signaux forts attestant qu’il vendra cher sa peau, mais sans compromettre la perspective de l’issue diplomatique.

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