La dite « gauche allemande » se vautre dans la complicité avec le génocide à Gaza Par Saad Shahriar

Alors que la « gauche allemande » soutient avec passion de nombreuses causes internationales, elle ignore consciencieusement le génocide des Palestiniens, en faisant commodément l’impasse sur sa propre complicité dans les liens militaro-industriels de l’Allemagne avec Israël.

Il ne s’agit pas d’une critique abstraite. Quand on connaît bien le soi-disant mouvement progressiste allemand, ses contradictions flagrantes sautent aux yeux. Ce qui apparaissait autrefois comme un phare de la solidarité internationale et des droits humains est devenu une façade, un théâtre creux d’indignation sélective et d’activisme à double face. Le génocide en cours en Palestine, alors que les bombes réduisent Gaza en ruines et assassinent des innocents, se heurte à un silence des plus choquants.

La gauche allemande, qui prétend défendre les opprimés, est aux abonnés absents.

Où sont les manifestations ? Où sont les condamnations ? Elle n’en fait que lorsqu’elle peut en tirer un avantage politique, tandis que les corps des Palestiniens continuent de s’empiler, apparemment trop gênants pour leur agenda.

Pour mieux comprendre qui sont les personnes que je critique au sein de la scène gauchiste allemande, il faut savoir qu’en Allemagne, le Cabinet actuel est dominé par le Parti social-démocrate allemand (SPD) et le Parti vert, qui se revendiquent tous deux du centre-gauche.

Toutefois, ces partis se prétendent pro-israéliens et, par extension, pro-sionistes. Le gouvernement qu’ils forment continue d’armer Israël, alimentant ainsi le génocide actuel des Palestiniens – l’Allemagne est le deuxième fournisseur d’armes d’Israël.

De ce fait, ces partis, ainsi que leurs ailes étudiantes qui occupent les directions des universités à travers le pays, soutiennent l’État d’apartheid et le colonialisme de peuplement. Depuis les structures gouvernementales de haut niveau jusqu’aux associations étudiantes de base, ce système est complice de la prolongation du génocide.

Ce qui est particulièrement exaspérant, c’est que ces mêmes forces politiques soutiennent des campagnes d’accueil des réfugiés et des initiatives de paix, en se présentant comme des humanitaires, tout en prêtant activement la main à l’apartheid et à l’épuration ethnique.

La contradiction est flagrante et pourtant elle passe inaperçue, personne ne la relève. L’aspect le plus troublant de cette situation est le silence assourdissant et massif de la gauche.

Il existe des centaines de groupes d’activistes de gauche en Allemagne – antifascistes, féministes antifascistes, anarcho-syndicalistes et autres groupes de gauche radicale ou progressiste qui luttent pour les droits des réfugiés ou l’injustice sociale et qui sont censés lutter contre les structures de pouvoir oppressantes. Pourtant, après le 7 octobre 2023, lorsque la violence israélienne contre les Palestiniens s’est encore intensifiée, ces groupes se sont tus.

Il convient de mentionner qu’en Allemagne, la faction de gauche radicale « Anti-Deutsch » (anti-allemande), dont la position est de s’opposer au nationalisme allemand et de critiquer la culture politique dominante de l’Allemagne, est également pro-sioniste.

J’ai personnellement été confrontée à cette hypocrisie lors d’un débat avec un militant anarchiste après le 7 octobre de l’année dernière. Je lui ai demandé de ne pas se concentrer sur le conflit plus large Palestine-Israël, mais simplement sur la brutalité policière à laquelle sont confrontés les Arabes et d’autres minorités lors des manifestations pro-palestiniennes.

Sa réponse a été glaciale : il a revendiqué la neutralité, refusant de prendre position. Il s’agit là d’un refrain commun à la gauche dite « radicale ». La confusion mentale ou, pire, l’indifférence face à un génocide qui dure depuis 11 mois et qui a été armé, en partie, par leur propre gouvernement, a paralysé ces militants, qui sont par ailleurs très actifs en matière de droits des réfugiés, de lutte contre les brutalités policières, et l’opposition à l’État.

Je les ai vus marcher pour Mohammed, le jeune homme tué par la police allemande, et s’indigner des brutalités policières. Mais, lorsqu’il s’agit de violence d’État à l’encontre des Palestiniens, ils restent silencieux.

Leur hypocrisie atteint des sommets. Ainsi, après que j’ai publié « Stop au génocide » sur les médias sociaux, un militant allemand de gauche, qui défend les droits des femmes iraniennes, m’a immédiatement répondu : « On ne peut pas encore parler de génocide ».

Voilà le niveau de dissonance cognitive et de double standard qui imprègne la gauche allemande. Cette même gauche qui s’est indignée de la mort tragique de Mahsa Amini en Iran reste aujourd’hui silencieuse alors que des femmes et des enfants palestiniens sont réduits en miettes, souvent par des bombes financées par l’État allemand et fabriquées par son complexe militaro-industriel.

Cela n’a rien à voir avec la solidarité. Il s’agit d’une farce. Leur soi-disant progressisme est un mensonge qu’ils entretiennent tous soigneusement.

La gauche allemande a, en réalité, une dynamique néocoloniale et elle choisit ses luttes en fonction de ce qui est acceptable pour le public occidental. Elle se consacre à la défense des Iraniens, des Kurdes et des Ukrainiens et en fait un symbole de sa prétendue solidarité, tandis que les Palestiniens, dont l’existence perturbe l’héritage colonial européen, sont abandonnés à leur sort.

Ce n’est pas de la solidarité, c’est du colonialisme sous un autre nom, une hiérarchie morale qui place certaines luttes au-dessus d’autres parce qu’elles risquent moins d’irriter les cercles du pouvoir à Berlin.

Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas aux luttes internationales.

La gauche allemande, toujours prompte à proclamer son soutien aux activistes kurdes et iraniens, perd soudain sa voix lorsqu’il s’agit du profilage racial, de la brutalité policière et de la répression étatique auxquels sont confrontés les Palestiniens et les Arabes en Allemagne.

Sous couvert de « lutte contre l’antisémitisme », l’Allemagne écrase systématiquement l’activisme palestinien, surveille et harcèle les voix pro-palestiniennes. Et où est la gauche ? Silencieuse. Quel genre de mouvement progressiste ignore l’oppression qui règne dans sa propre cour, tout en se vantant de sa solidarité avec les causes internationales ?

Ce n’est pas de la solidarité. C’est de la complicité.

La gauche allemande, paralysée par la culpabilité historique de l’Holocauste et les risques politiques, refuse de remettre en question la profonde complicité de sa propre nation avec l’apartheid israélien. La gauche fait grand cas de la résistance à l’autoritarisme et à l’injustice, mais lorsqu’il s’agit de la Palestine, elle se tait, parce qu’elle a peur de s’élever contre un État avec lequel elle est profondément imbriquée économiquement et militairement.

Les contrats d’armement de l’Allemagne avec Israël ne sont pas remis en question, ni le durcissement, en Allemagne même, de l’État policier qui cible les migrants, en particulier les Palestiniens. La gauche se contente de gestes symboliques et d’une rhétorique creuse alors que la machine de l’impérialisme continue de broyer ceux-là mêmes qu’elle prétend soutenir.

La complicité avec le néolibéralisme a perverti la gauche allemande d’aujourd’hui. Au lieu de résister à l’autoritarisme croissant de l’État, elle en est devenue partie prenante, en adoptant le langage de la sécurité et de la stabilité publiques et en légitimant la répression étatique.

Loin de critiquer le complexe militaro-industriel ou la colonisation de peuplement et le système d’apartheid d’Israël, les militants de gauche dissimulent leur lâcheté derrière la culpabilité historique de l’Allemagne. Une tiède adhésion à la politique de respectabilité a pris la place de leur engagement d’autrefois aux côtés des opprimés.

Ils ont laissé l’État museler leur critique de l’apartheid israélien, au prétexte de la responsabilité historique de l’Allemagne, et permis que le génocide soit rebaptisé « légitime défense ».

Cette manière de garder un silence coupable est tragiquement familière.

Pendant l’Holocauste, la gauche allemande n’a pas résisté unanimement. Elle était fracturée, divisée et plus préoccupée par la pureté idéologique que par la lutte contre la machine génocidaire du nazisme.

Aujourd’hui, la gauche, prise dans le même cycle de paralysie morale, ne parvient toujours pas à s’opposer de manière significative au génocide en Palestine. Mais la trahison ne s’arrête pas là. La gauche allemande n’a pas non plus résisté à la militarisation rampante de son propre État, à l’érosion des libertés civiles et à l’extension des pouvoirs de la police.

La rhétorique de la « loi et de l’ordre », autrefois brandie par l’extrême-droite, est aujourd’hui largement répandue et adoptée par le centre-gauche sous couvert de stabilité sociale.

L’Allemagne, hantée par son passé fasciste, laisse aujourd’hui l’autoritarisme se développer sans contrôle, la gauche se contentant d’observer passivement la violence de l’État.

Même la campagne d’« accueil des réfugiés » tant vantée par la gauche allemande n’est jamais qu’une opération de communication vide de sens. Alors que l’Allemagne projette fièrement une image humanitaire, les réfugiés sont enfermés dans des centres de détention, privés de leurs droits fondamentaux et soumis à un examen bureaucratique inhumain.

L’autorité morale que la gauche prétend détenir s’effondre sous ce déluge d’hypocrisie.

C’est là le plus grand échec de la gauche allemande.

Elle a laissé tomber les Palestiniens. Elle a laissé tomber les communautés d’immigrés en Allemagne. Elle n’a pas su résister efficacement à la montée de l’AfD, un parti ancré dans le nationalisme d’extrême droite et les réminiscences du passé nazi. Elle n’a pas été à la hauteur des idéaux de justice, d’équité et d’internationalisme qu’elle proclame si bruyamment.

Elle a fait de la solidarité un spectacle, un masque facile à porter lorsque les caméras sont allumées, et tout aussi facile à enlever lorsque la lutte devient trop inconfortable, trop chargée politiquement ou trop menaçante pour les intérêts économiques de l’Allemagne.

La fétichisation par la gauche des causes iraniennes, kurdes et ukrainiennes alors même qu’elle a abandonné la Palestine est une trahison, non seulement des Palestiniens, mais aussi de tous les principes qu’elle prétend défendre.

Au cours des 11 derniers mois, j’ai constaté que la gauche allemande n’avait jamais protesté contre la brutalité de la police d’État lorsque la police a frappé des femmes et placé des mineurs en garde à vue lors de manifestations pro-palestiniennes.

Dans les soi-disant espaces alternatifs de gauche, les discussions ou des concerts de soutien aux Palestiniens ont été annulés. Dans les universités, la situation est encore plus grave. Les administrateurs de l’université, les professeurs, le gouvernement étudiant et le parlement étudiant s’efforcent de faire taire les voix de la solidarité palestinienne.

Même les discussions universitaires sur la Palestine ont été qualifiées d’antisémites. Je connais un rédacteur en chef d’un journal de gauche qui, à plusieurs reprises, a fait référence à des affirmations non vérifiées selon lesquelles le Hamas décapitait des bébés, induisant ainsi les gens en erreur.

C’est une situation profondément immorale et contraire à tous les principes dont j’ai été témoin en temps réel. La complicité de la gauchiste allemande dans les horreurs commises en Palestine ne fait aucun doute.

Le rôle de la gauche sur le campus

En mai 2024, à l’université de Münster, une tempête couvait dans le corps étudiant, une tempête soulevée par le racisme profondément enraciné et les abus de pouvoir institutionnels.

Il convient de mentionner que la direction étudiante actuelle de l’université de Münster est principalement composée de Campus Green et de Juso-HSG, les ailes étudiantes du parti vert et du SPD.

Tout a commencé lorsqu’un département autonome du corps étudiant appelé fikuS (département pour les étudiants financièrement et culturellement défavorisés), un groupe d’étudiants composé en grande partie de minorités raciales et de représentants d’étudiants financièrement défavorisés, a obtenu la place qui lui revenait au sein du corps étudiant en tant que département autonome.

Je faisais partie des personnes élues par mes pairs, et cela a été perçu comme un signe clair que les voix marginalisées sur le campus recevaient enfin la représentation qu’elles méritaient.

Mais dès notre entrée en fonction, il y a eu des protestations anonymes qui jetaient le doute sur la légitimité de l’élection. Il nous a semblé que l’élection était contestée parce que nous défendions tous des positions pro-palestiniennes à l’université et que l’un des membres de notre groupe était à moitié palestinien et à moitié libanais.

L’exposé que ce dernier avait programmé n’avait pas encore eu lieu qu’il était accusé d’antisémitisme par le commissaire à l’antisémitisme de l’université. Puis le service financier a interrompu le versement de son salaire, au motif que l’événement pouvait être antisémite.

Plus tard, les versements de son salaire ont été à nouveau indûment interrompus au prétexte ridicule que le service financier avait constaté une discordance entre son lieu de naissance et sa nationalité.

Les deux autres représentants élus étaient moi-même et une autre femme issue d’une minorité. Étant donné que l’université réprime activement la solidarité avec la Palestine, la protestation avait une base officielle légale assez opaque.

Mais, il n’a pas fallu longtemps aux représentants du fikuS pour voir ce qu’il en était vraiment : une attaque contre les minorités raciales qui osent faire valoir leurs droits démocratiques.

Il ne s’agissait pas seulement d’une question de procédure ou de politique ; il s’agissait d’une attaque contre les étudiants noirs et les étudiants issus de minorités qui avaient placé leur confiance dans cette association étudiante autonome pour défendre leurs intérêts.

Après que les élections ont été contestées, le service financier de la direction étudiante a cessé de payer les représentants nouvellement élus.

 

Le système, tant à l’université qu’en dehors, est conçu pour protéger les privilégiés tout en exploitant les marginaux. C’est un système qui se nourrit des failles bureaucratiques et qui donne du pouvoir à ceux qui souhaitent maintenir le statu quo.

La contestation de l’élection n’était pas un acte isolé – elle était symptomatique d’un problème plus vaste, à savoir que des dynamiques de pouvoir enracinées dans la discrimination raciale sont autorisées à prospérer sous le couvert de la démocratie.

Pour les étudiants du fikuS, il ne s’agissait pas seulement d’une simple élection, il s’agissait de s’opposer aux systèmes de pouvoir bien établis qui cherchaient à les réduire au silence.

Les exemples sont innombrables. En juin de cette année, des étudiants en sociologie de l’université de Münster ont organisé un événement pour discuter de l’antisémitisme, du racisme et du colonialisme de peuplement. Au lieu d’encourager un dialogue ouvert, les représentants universitaires de Campus Green – la branche étudiante du parti vert – et d’autres personnes occupant des postes de pouvoir au sein du corps étudiant ont fliqué l’événement.

Leur but ? Noter tout ce qui pouvait être considéré comme antisémite.

L’ironie de la situation est stupéfiante. Ces étudiants, représentant un parti qui soutient ouvertement Israël et sa violence coloniale, ont décidé de s’ériger en juges d’une discussion sur l’antisémitisme, menée par nul autre que le président de Jüdische Stimme (voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient), qui est juif.

De fait, l’événement a d’abord été interdit. Il n’a été autorisé qu’après des négociations en coulisses entre les étudiants, engagés à gauche, et le recteur de l’université.

Il s’agit là d’un parfait exemple de la manière dont la gauche autoproclamée « progressiste » ou « radicale » en Allemagne réduit au silence le discours critique, en particulier lorsqu’il menace d’exposer sa propre complicité dans le soutien à l’apartheid israélien et au colonialisme de peuplement.

Ils prétendent lutter pour la justice et les droits de l’homme, mais ils suppriment activement toute discussion qui remet en question le récit qu’ils s’efforcent de protéger. Et ceux qui s’y opposent négocient avec la même structure de pouvoir à laquelle ils prétendent résister en ne s’y opposant pas activement.

La véritable solidarité ne rime pas avec confort ou commodité, elle exige du courage.

Elle exige un engagement sans faille en faveur de la justice, même lorsque cette justice passe par une remise en question de son propre gouvernement, de sa propre histoire et de sa propre complicité.

Tant que la gauche allemande ne sera pas prête à affronter la vérité sur son propre rôle dans la perpétuation de l’apartheid israélien et de son propre État policier en pleine expansion, elle ne sera rien de plus qu’une coquille vide, qui a peur de la vérité et qui n’ose pas se battre pour une véritable justice.

Saad Shahriar est un militant antiraciste, un cinéaste et un écrivain qui se concentre sur l’établissement de la vérité et la justice sociale. Depuis qu’il a commencé sa carrière en 2003 dans des journaux locaux au Bangladesh, il a travaillé comme écrivain, journaliste visuel et réalisateur de documentaires sur diverses plateformes.
Il est diplômé en journalisme et en médias audiovisuels et poursuit actuellement des études en anthropologie visuelle à l’université de Münster, en Allemagne.

Source : Mondoweiss

 

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