La commémoration du 7 octobre entre déni colonial et souci d’équité Par Mohamed Tahar Bensaada

En France, la commémoration du 7 octobre a été l’occasion pour les médias mainstream de déverser leurs mensonges et leurs calomnies contre toutes celles et tous ceux qui osent montrer la moindre compassion pour les Palestiniens qui luttent pour leurs droits nationaux inaliénables et reconnus par le droit international.

La levée de boucliers suscitée par les déclarations du président Macron qui, tout en réaffirmant le soutien de la France à Israël, a osé réclamer un cessez-le-feu à Gaza et au Liban et un arrêt des livraisons d’armes à Israël, a montré non seulement tout le parti-pris des médias à la solde des lobbies pro-israéliens mais aussi un degré inquiétant de perte du sens de l’équité et de toute compassion humaine pour les victimes de l’Autre. Seules les victimes israéliennes du 7 octobre comptent pour les chroniqueurs qui ont oublié le temps d’une commémoration que l’Humanité est Une et indivisible.

Les nouveaux directeurs de conscience ont reproché à Macron de n’avoir pas compris qu’il n’y a pas de négociations ni de cessez-le feu avec les « terroristes » mais seulement avec des « armées régulières » Faut-il rappeler que les mouvements de libération nationale qui ont jalonné l’histoire européenne depuis le XVIIIe siècle (Hongrois, Polonais, Grecs, Serbes, Irlandais, etc.)  et à leur suite les mouvements de décolonisation d’Afrique et d’Asie au XXe siècle, ont tous été taxés de « terroristes » par leurs adversaires.

L’histoire de la violence n’a pas commencé le 7 octobre

La destruction de Gaza et son lot de morts, de disparus et de blessés qui se comptent par dizaines de milliers, qui se déroule sous nos yeux depuis un an, au mépris du droit international et de l’opinion publique mondiale, n’est même pas évoquée par ceux dont l’horloge morale et politique s’est arrêté à la journée du 7 octobre 2023. Comme si l’histoire contemporaine a commencé ce jour-là.  Le manque de compassion à l’égard des victimes palestiniennes dénote un terrible déni colonial et un racisme exécrable.

Le 7 octobre 2023 est une page dans l’histoire d’un conflit israélo-palestinien qui n’a pas commencé ce jour-là. Elle a été et continuera d’être commémorée diversement des deux côtés de la barricade. Si aucune violence n’a le privilège d’échapper au jugement moral de l’histoire, la violence anticoloniale plonge ses racines dans la volonté des opprimés de défendre leur dignité humaine bafouée.

La violence anticoloniale fait partie d’une douloureuse tentative de se réapproprier son humanité dont le système colonial constitue une infamante dégradation. De de ce fait, elle ne saurait nier l’humanité de l’Autre sans prendre le risque de se déshumaniser à son tour. C’est pourquoi dès le départ, la violence anticoloniale s’est inscrite dans le registre du droit à la résistance contre l’oppression qui a défrayé toutes les chroniques de l’histoire de l’humanité depuis les anciens Textes sacrés jusqu’au déclarations plus récentes qui réaffirment le droit des peuples et des individus à l’autodétermination.

La violence en Palestine occupée n’a pas commencé le 7 octobre. Elle a commencé le jour où le premier colon a posé les pieds sur la terre de Palestine. L’entreprise coloniale ne pouvait que s’accompagner de la négation de l’Autre, du Palestinien. Ce n’est pas un hasard si la propagande sioniste n’a cessé de marteler le mythe d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ».

Comme tous les colonisés, le Palestinien se devait d’être invisible. Et s’il lui arrive par malheur de se montrer un peu visible, le système colonial s’arrangera de le lui faire payer. Dès le massacre de Deir Yassine (1948), l’assassinat collectif est devenu dans le cadre de l’entreprise coloniale juive un moyen de vider la Palestine de ses habitants.

Le massacre et l’extermination qui jalonnent l’histoire palestinienne de 1948 à 2024 ne relèvent ni d’une soi-disant autodéfense salutaire ni d’un dérapage attribué à des minorités extrémistes et suprémacistes mais s’apparentent à une technologie politique coloniale hideuse.

Les belles âmes qui reconnaissent la souffrance des Palestiniens et à la rigueur leur résistance civique contre l’oppression mais émettent des réserves sur l’attaque du 7 octobre, feignent d’oublier que depuis 1982 l’essentiel de la résistance multiforme des Palestiniens, aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, entre deux guerres, a toujours été d’essence civique et politique.

Malheureusement, cette lutte pacifique, qui fait rarement la une des médias, n’a même pas contribué à atténuer l’oppression coloniale. Pire, cette dernière n’a fait que s’aggraver durant ces trois dernières décennies. En effet, le processus d’Oslo, qui devait déboucher sur un Etat palestinien indépendant sur 22% du territoire de la Palestine historique, a été progressivement vidé de son contenu par la multiplication des colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est qui a rendu pratiquement caduque l’option d’un Etat palestinien viable sans parler des conséquences désastreuses du blocus imposé à Gaza depuis près de 20 ans.

Il faut une sacrée dose de mauvaise foi pour reprocher dans ces conditions aux Palestiniens de s’être laissés entraîner sur le terrain de la violence comme s’ils avaient vraiment le choix. Bien entendu, on peut regretter que la violence anticoloniale ait touché sans discrimination des militaires, des colons, des personnes âgées, des femmes et des enfants israéliens.

La violence contre les enfants palestiniens, summum de la barbarie coloniale

Mais ce regret ne doit pas nous empêcher de voir l’essentiel à savoir qu’en matière de violation des droits humains élémentaires, et notamment les droits des enfants, Israël et ses défenseurs n’ont aucune leçon à donner. Bien avant le 7 octobre 2023, plus de 10% des 5200 prisonniers politiques et des 1250 prisonniers administratifs palestiniens étaient des enfants.

En effet, selon Amnesty International, « plus de 500 enfants palestiniens sont envoyés, chaque année, en prison par les autorités israéliennes. Dès l’âge de 12 ans, ils peuvent se retrouver devant une cour militaire. Illégales, ces conditions d’incarcération se sont encore durcies depuis le 7 octobre ».

Selon les praticiens de la clinique MSF de Naplouse, spécialisée dans l’aide psychologique., les consultations des mineurs explosent à cause des traumatismes subis à la suite de l’emprisonnement et des mauvais traitements. Chaque année, entre 500 et 700 enfants palestiniens sont arrêtés et détenus dans les prisons selon Save The Children. Un chiffre qui s’inscrit dans un contexte plus large de violences à l’égard des mineurs. En 2022, l’ONG Defence for Children International-Palestine (DCI-P) recensait 44 enfants tués par les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie – un triste record depuis la fin de la seconde intifada en 2005, de nouveau dépassé en 2023 (126 enfants tués selon la même source).

La violence qui vise les enfants palestiniens est à rapporter directement à la nature coloniale de l’Etat israélien. Toujours selon Amnesty International, la répression qui frappe les Palestiniens et particulièrement les enfants dans les territoires occupés est renforcée par la présence « d’une juridiction spéciale chargée de juger les Palestiniens qui échappe au droit israélien et fait d’Israël le seul pays au monde à traduire, de manière systématique, des mineurs devant un tribunal militaire ».

L’avocate et activiste israélienne Smadar Ben Natan a pointé du doigt cette discrimination à caractère colonial : l « L’État hébreu n’applique pas les mêmes normes que pour ses propres citoyens, et ne respecte pas les conventions internationales lorsqu’il s’agit d’enfants palestiniens. Un enfant israélien ne peut pas être jugé avant 14 ans, tandis qu’un palestinien peut l’être dès 12 ans ». De son côté,  Francesca Albanese, la rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, a relevé, dans un rapport publié en juillet 2023,  que ce « double système juridique » constitue  « le pilier du régime d’apartheid israélien […] où les enfants sont traités de manière aussi inhumaine et illégale que les adultes ».

Le 7 octobre un tournant majeur dans l’histoire régionale et mondiale

Ceux qui cherchent à annihiler la volonté de résistance du peuple palestinien, en tentant par tous les moyens, y compris le mensonge, la calomnie et l’odieux chantage à l’antisémitisme, de dénaturer ce qui s’est passé le 7 octobre, devraient expliquer pourquoi la question palestinienne a subitement reconquis les projecteurs de l’actualité internationale et pourquoi même les puissances occidentales qui ne cachent pas leur sympathie pour Israël ont été obligées de reconnaître, APRES LE 7 OCTOBRE,  la nécessité d’un Etat palestinien si on veut assurer une paix durable dans la région du Moyen Orient.

Faut-il rappeler qu’à la veille du 7 octobre 2023, la cause nationale du peuple palestinien était en voie de liquidation totale dans le cadre du processus de normalisation en cours entre Israël et les pays arabes sous les auspices de l’Administration américaine.

Le prix payé par la population civile de Gaza est indescriptible. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’une tentative insurrectionnelle provoque une réaction violence disproportionnée qui conduit à s’interroger sur son opportunité et sa pertinence stratégique. Mais au-delà des questions stratégiques et tactiques que tout mouvement de libération doit se poser pour mieux se redéployer, le fait de hercher à imputer la responsabilité des malheurs qui se sont abattus sur Gaza à la résistance palestinienne, dans une tentative désespérée de dédouaner l’occupant israélien, est tout simplement obscène.

Avant même de décréter son jugement impartial, l’histoire est en train de sortir son livre de comptes dans le fracas des bombardements actuels et à venir. Sans le Droit, la Force aussi brutale soit-elle, ne saurait sauver la citadelle la mieux protégée surtout lorsque cette force est désormais bousculée par des forces adverses qui ont accumulé rancoeurs et ressources pour le grand rendez-vous de l’histoire.

Quel que soit le jugement politique qu’on pourra porter sur le 7 octobre, il aura permis, dans tous les cas, de tourner une page dans l’histoire de la région et peut-être du monde même si on ne peut malheureusement prédire la suite. Il appartient à tous les peuples engagés dans cette douloureuse épreuve de profiter des contradictions régionales et internationales, qui vont s’aiguiser dans les prochains jours, pour écrire les pages suivantes. Pour que force revienne enfin à la Paix et à la Justice dans cette région martyrisée à cause de ses ressources matérielles et …symboliques.

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