Lors de son récent voyage diplomatique au Maroc, la ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, a apporté son appui au plan marocain d’autonomie pour le Sahara. Selon des spécialistes belges en droit international, cette démarche soulève des difficultés au regard du respect du droit international et ils ont tenu à le faire savoir au gouvernement belge dans une carte blanche publiée dans le principal quotidien belge francophone Le Soir dans son édition du 01/11/2022 que nous reproduisons ci-dessous.
Lors de sa récente visite diplomatique au Maroc, la nouvelle ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, a apporté son soutien au « Plan marocain d’autonomie du Sahara ». Elle a ainsi déclaré que « la Belgique considère le plan d’autonomie présenté en 2007 comme un effort sérieux et crédible du Maroc et comme une bonne base pour une solution acceptée par les parties ». La « solution » évoquée est celle qui devrait mettre fin au conflit du Sahara occidental, en attente de règlement depuis près de 50 ans. Force est de constater que cette prise de position rompt avec l’attitude traditionnelle de la Belgique et qu’elle s’avère en contradiction avec le droit international.
Plusieurs résolutions internationales
Pour rappel, le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole, dont l’essentiel du territoire se trouve sous occupation du Maroc, qui l’a formellement annexé en y proclamant sa souveraineté. Cette occupation a été dénoncée à plusieurs reprises par les Nations unies, qui ont affirmé le statut de « territoire non autonome » du Sahara occidental et le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Ce point de vue a été confirmé par la Cour internationale de Justice dans un avis rendu en 1975, qui a conclu que « les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc d’autre part ». Tout récemment, dans un arrêt rendu en septembre 2022, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a encore souligné que « l’occupation continue [du Sahara occidental] par le Maroc est incompatible avec le droit à l’autodétermination du peuple [sahraoui] et constitue une violation de ce droit ». Dans plusieurs décisions rendues entre 2016 et 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne a rappelé que « le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc » et que toute décision affectant le statut de ce territoire suppose « que le peuple du Sahara occidental ait manifesté́ [son] consentement ».
Tous ces principes fondamentaux ne paraissent pas avoir été pris en considération lorsque la ministre a manifesté son appui au plan marocain, en le considérant comme une « bonne base » pour résoudre le conflit. Que prévoit exactement ce plan et en quoi pose-t-il problème au regard des règles internationales applicables ? Soumise en 2007 dans le cadre du processus de négociation entamé sous l’égide des Nations unies près de vingt ans plus tôt, « l’Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara » n’envisage, comme son nom l’indique, que l’autonomie du territoire, « dans le cadre de la souveraineté du Royaume et de son unité nationale ». Elle écarte ainsi par principe toute possibilité d’indépendance du Sahara occidental, en excluant que cette option soit proposée lors d’un futur référendum. Or, le droit à l’autodétermination dont jouit le peuple sahraoui comprend également, selon le droit international, la possibilité d’accéder à l’indépendance, sur laquelle le peuple concerné doit pouvoir exprimer sa volonté de manière « libre et authentique ».
Un plan qui conforte l’annexion
La perspective dans laquelle s’inscrit le plan a été explicitée à de nombreuses reprises par le Roi Mohammed VI. En 2014, il déclarait que « l’initiative d’autonomie est le maximum que le Maroc puisse offrir » et que « la souveraineté du Maroc sur l’ensemble de son territoire est immuable, inaliénable et non négociable ».
Le plan d’autonomie vise donc en son principe même à légitimer et conforter l’annexion du Sahara occidental. C’est en cela que l’appui apporté par la Belgique à ce plan est particulièrement problématique, puisqu’il suppose d’en accepter la prémisse de la souveraineté marocaine.
De surprenantes déclarations
Confrontée, comme on l’a vu, à une occupation/annexion illégale, impliquant la violation du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, la Belgique a au contraire une obligation internationale de ne pas reconnaître ni encourager les prétentions marocaines à la souveraineté. En application du principe d’autodétermination, seule la libre volonté du peuple sahraoui – partie au conflit jamais nommée par la ministre lors de son discours – peut déterminer le statut du Sahara occidental, sans exclure l’indépendance comme l’exige l’initiative marocaine. De ce point de vue, il est surprenant qu’aucune allusion ne soit faite par la ministre à la position de la population sous occupation, exprimée notamment à travers le plan soumis en 2007 par le Front Polisario, organisation reconnue par l’ONU comme représentant légitime du peuple sahraoui.
Dans le même discours, la ministre Hadja Lahbib s’est référée à la défense de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et au rejet des annexions illégales réalisées par la Russie, en condamnant « la violation des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies ». Le droit à l’autodétermination est consacré par cette même Charte et l’occupation marocaine du Sahara occidental en constitue une violation flagrante de même qu’une atteinte au respect de son intégrité territoriale, reconnue aux territoires non autonomes au même titre qu’aux États.
*Signataires : Eva Brems, professeure de droit international à l’UGent ; Olivier Corten, professeur de droit international à l’ULB ; Eric David, professeur émérite de droit international à l’ULB ; Christophe Deprez, professeur de droit international à l’ULG ; François Dubuisson, professeur de droit international à l’ULB ; Pierre Klein, professeur de droit international à l’ULB ; Vaios Koutroulis, professeur de droit international à l’ULB ; Anne Lagerwall, professeure de droit international à l’ULB ; Julie Ringelheim professeure de droit international à l’UCL ; Tom Ruys, professeur de droit international à l’UGent ; Françoise Tulkens, professeure émérite droits humains à l’UCL ; Raphaël Van Steenberghe, professeur de droit international à l’UCL ; Patrick Wautelet, professeur de droit international privé à l’ULG.