Après l’élimination du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, le Liban dans la tourmente Par Mohamed Tahar Bensaada

En éliminant le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans un raid aérien d’une extrême intensité, le gouvernement israélien vient de franchir une ligne rouge dans sa guerre ouverte contre le Hezbollah commencée lundi par des bombardements aériens intensifs sur le sud et dans la plaine de la Bekaa où sont situées les principales bases du mouvement. En effet, l’élimination du leader du Hezbollah et de plusieurs autres dirigeants du mouvement constitue un tournant important dans un conflit susceptible de connaître des dérapages dangereux pour la sécurité et la stabilité de toute la région du Moyen Orient.

Jusqu’ici, l’armée israélienne a concentré ses efforts sur l’élimination des chefs militaires du Hezbollah et sur la destruction des sites de lancement des missiles et roquettes. En s’attaquant directement à la direction politique du mouvement, le gouvernement israélien vient de passer un cap dangereux.  En effet, cet acte de guerre risque de pousser les alliés du Hezbollah dans la région (Iran, Irak, Syrie, Yémen) à réagit d’une manière ou une autre, ce qui pourrait donner au gouvernement israélien le prétexte commode d’une nouvelle escalade militaire dont le but inavoué est d’entraîner l’Iran et les Etats-Unis dans une confrontation directe.

La décapitation du Hezbollah pourrait être interprétée comme le signal d’une guerre totale visant à éradiquer ce mouvement qui constitue aux yeux des dirigeants israéliens une sérieuse menace sécuritaire et militaire en cas de guerre régionale contre l’Iran. D’un autre côté, l’acte, spectaculaire en soi, pourrait signifier paradoxalement qu’Israël cherche avant tout à assommer son adversaire et à le paralyser pour l’obliger à accepter de se retirer derrière le fleuve Litani, mettant ainsi à l’abri les colonies situées en Galilée.

Cependant, il n’est pas exclu que le gouvernement israélien ait recherché par cet acte extrême à provoquer une réaction en chaîne de l’Iran et de ses alliés dans la région qui pourrait donner le signal d’une guerre régionale ouverte qui ne laisserait pas indifférents les Etats-Unis obligés d’intervenir aux côtés d’Israël. En réitérant sa volonté d’éviter un embrasement régional, l’Administration américaine vient de montrer qu’elle est bien consciente de la conduite provocatrice du gouvernement Netanyahou et nul doute qu’elle a déjà transmis un message clair dans ce sens à Téhéran.

Certes, l’affront que constitue l’élimination du chef du Hezbollah est tellement grand qu’on voit mal l’Iran rester sans aucune réaction. La passivité de l’Iran au lendemain de l’assassinat à Téhéran du leader du Hamas, Ismail Hanieh, a sans doute encouragé le gouvernement israélien dans son escalade belliciste et a entamé le crédit du régime iranien au sein de l’opinion publique arabe. Mais une passivité similaire au lendemain de l’élimination de Hassan Nasrallah aurait de toutes autres conséquences au sein de la mouvance régionale pro-iranienne qui obéit, quoi qu’elle prétende, plus à des motivations géopolitiques et confessionnelles qu’à des exigences anti-impérialistes et antisionistes.

Pour garder son contrôle politique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le régime iranien sera sans doute obligé de réagir. Mais quels que soient les actes auxquels il sera contraint après la provocation israélienne, ils ne dépasseront pas la ligne rouge fixée par sa volonté de sauvegarder ses chances de négocier un nouvel accord nucléaire avec les Etats-Unis.  Mais pour sauver la face et garder son influence sur ses alliés dans la région, Téhéran pourrait les encourager à entrer dans des actions plus conséquentes que celles auxquelles ils se sont astreints jusqu’ici.

Le Liban en danger

Quels que soient les scénarios qui risquent de se dessiner dans les prochains jours dans la région, il est une question essentielle qui mérite toute l’attention dans l’immédiat tant elle engage l’avenir du Liban comme nation et société. La décapitation du Hezbollah risque malheureusement de donner le signal à un dérapage interne susceptible de compromettre la paix civile au Liban. Des forces sociales et politiques à l’affût risquent de mettre à profit la déstabilisation du Hezbollah pour se lancer à l’intérieur dans une aventure politico-militaire dangereuse.

Les voix qui se sont élevées ces derniers jours sur fond d’instrumentation de la peur suscitée par l’arrivée massive à Beyrouth des réfugiés chiites du sud du Liban, ajoutée à l’incurie des pouvoirs publics qui n’ont rien prévu pour cela, constituent malheureusement un signe avant-coureur de ce qui attend le Liban dans les prochaines semaines.

Il n’est pas exclu que le gouvernement israélien ait en vue cette sinistre perspective quand il a pris la décision de décapiter un mouvement avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner sur la stabilité politique intérieure, étant entendu que le Hezbollah était devenu, au fil des ans, qu’on le veuille ou non, un véritable Etat dans l’Etat.

Face à l’adversité que constitue l’agression israélienne, les Libanais sauront-ils transcender leurs différends pour préserver la paix civile et la coexistence intercommunautaire ? Toutes Les forces politiques, aujourd’hui divisées sur les conditions et les modalités d’une difficile refondation d’un Etat libanais indépendant et souverain, sauront-elles circonscrire leurs divergences dans un cadre qui préserve le Liban d’une rechute dans la discorde et la guerre civile ? Tel est le principal enjeu de ce qui se joue actuellement au Liban derrière la fumée dégagée par les bombardements incessants de l’armée israélienne.

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