Rencontrée le 9 juillet dernier dans la ville du Mans à l’occasion de l’accueil d’un groupe de jeunes enfants venant du Sahara occidental, Madame Régine Villemont a bien voulu nous accorder un entretien. Militante depuis près de quarante ans pour le triomphe de la cause sahraouie, Régine Villemont a une connaissance particulièrement fine aussi bien des enjeux liés à cette cause que des besoins, les plus quotidiens du « peuple des campements », comme elle le précise avec un ton empreint à la fois de tristesse et d’une révolte à peine contenue. Certes, le fait d’avoir été très longtemps professeur d’Histoire-Géographie a très certainement contribué au développement de sa conscience politique . Mais là n’est peut-être pas l’essentiel: réfractaire à la « société du spectacle » et particulièrement sensible aux combats des peuples du Sud , Régine Villemont ne pouvait que soutenir, dit-elle, la lutte « trop peu médiatisée du si attachant peuple du Sahara occidental « .C’est de l’histoire d’une solidarité « au long cours », comme on peut le deviner , qu ‘il s’agit dans cet entretien; solidarité qui exige, dit-elle, humilité, patience et surtout souci permanent d’être réellement utile.Quelle est, en France, l’histoire de la solidarité avec la lutte peuple sahraoui ? Quels sont les acquis et les obstacles qui ont jalonné cette histoire ? Comment peut-on comprendre les positions dont se distingue, notamment la France, et comment lutter pour les faire évoluer au profit de la cause sahraouie? Telles sont quelques des questions abordées dans cet entretien.
En guise d’introduction à cet entretien, pouvez-vous présenter l’association que vous dirigez ?
Régine Villemont :
L’association des Amis de la RASD est une association type 1901, déclarée en préfecture à Paris dès la fin de 1975, mais qui a pris son nom définitif en Février 1976, juste après la proclamation de la RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique) le 27 février 1976. C’était de la part des responsables à ce moment-là, un engagement et un soutien au choix du Front Polisario, de proclamer sa république en exil, au moment du départ de l’Espagne du Sahara occidental. Donc l’association existe depuis presque 40 ans !
L’association a, bien sûr, changé durant ces 40 ans …
Régine Villemont :
L’association a moins d’adhérents et bien moins de moyens qu’à ses débuts, mais elle existe toujours. Elle s’est transformée, en effet, pendant ces 40 ans ! Au début, c’était surtout une association politique soutenant une lutte de libération armée à la manière des années 70. Avec le cessez-le feu et l’engagement des Nations unies, elle a développé de nouvelles activités : coopérations de développement avec les campements, liens sur la question des droits de l’homme avec les associations du Sahara occupé. L’accueil chaque été, d’un groupe d’enfants sahraouis depuis 1980 à la veille de l’arrivée de la gauche au pouvoir, a permis d’articuler plaidoyer politique et humanitaire tout en suscitant des dynamiques locales. Celles-ci ont favorisé des jumelages entre villes françaises et daïras des campements et permis l’existence , dans la durée, de comités et associations locales qui chacune de son côté, ont mis en place des formes de solidarité spécifiques. La visite régulière des campements, pendant toutes ces années , a joué aussi un grand rôle dans l’intérêt et le soutien au peuple sahraoui, alors que les médias, depuis très longtemps, ne s’intéressent plus au sujet, en raison d’un déficit d’actualité spectaculaire et d’une auto-censure pour ne pas fâcher l’ « ami marocain ».
Pour ma part, j’ai créé le comité de la Sarthe avec quelques amis dès 1975. Ce comité a accueilli 20 enfants en mai 1980 ; ce qui a favorisé, en 1982, le choix des élus du Mans de jumeler leur ville avec un campement sahraoui. J’ai pris la responsabilité nationale l’année 1990 : secrétaire générale, puis présidente…
Votre association fait partie d’un réseau international et, notamment européen ; qu’en est-il, dans ce cadre , de vos rapports avec les autres associations ?
Régine Villemont :
Depuis 1976, une coordination européenne existe en lien étroit avec le Front Polisario. C’est un belge, Pierre Galand qui la préside. Depuis 1976 se tient chaque année, une conférence européenne, très modeste au départ, qui a pris de plus en plus d’importance, en particulier avec l’engagement des militants espagnols. C’est un rendez-vous important qui nous permet de coordonner nos actions entre comités européens, ONG et responsables sahraouis. C’est également un rendez-vous qui permet d’adresser des messages à l’Europe, aux Nations-unies, à l’Union africaine etc. Le lieu choisi n’est pas indifférent ; il favorise l’intérêt des locaux : élus, syndicats et leur donne une tribune pour s’exprimer. En parallèle à la conférence est organisée, en général, une conférence au parlement du pays d’accueil. Le comité algérien de solidarité ,le CNASPS ,est également très présent à ces conférences, il fait partie de la coordination européenne et multiplie les initiatives en direction de l’Afrique. Entre chaque conférence, les responsables se réunissent trois ou quatre fois par an.
Cependant, tous les comités européens, les anglophones en particulier et les comités des pays nordiques, ne se retrouvent pas dans cette coordination européenne qu’ils doivent trouver un peu trop routinière ou protocolaire. La situation en Espagne est aussi très spécifique. Les comités coordonnent leurs activités à la fois avec les autres Européens mais développent des solidarités tellement multiples qu’ils jouent souvent en « solo » avec le Polisario !
Venons-en en France : quels sont les principaux axes de votre activité actuelle ?
Régine Villemont :
L’association des Amis de la RASD a d’abord comme priorité de rassembler tous ceux et celles qui souhaitent soutenir l’autodétermination du peuple sahraoui, qui reconnaissent le Front Polisario comme son représentant, sans aucune discrimination partisane, à titre individuel ou comme membre d’un parti, d’un syndicat, d’une église etc.
Nos principaux outils sont notre journal (papier) et la publication régulière d’une newsletter ; ce qui nous permet de fournir une information régulière à nos adhérents, aux élus nationaux concernés (députés européens et membres des deux Commissions des Affaires étrangères des Assemblées) et aux autorités concernées, aux associations, ONG, syndicats partenaires réguliers ou ponctuels.
Nous pensons mettre davantage l’accent sur la communication internet …Nous avons deux sites anciens et un plus récent, mis à jour plus régulièrement pour l’organisation du parrainage des prisonniers politiques sahraouis. Il en existe déjà plusieurs très bien faits et nous avons tendance à militer à « l’ancienne » en privilégiant le terrain !
Quelles sont, actuellement, vos priorités ?
Régine Villemont :
Actuellement, quelles sont nos priorités ? Engagement ou plaidoyer politique en direction des autorités françaises, notamment des parlementaires (le groupe d’étude Sahara occidental de l’Assemblée dont nous avons largement contribué à favoriser la création) et des élus locaux avec lesquels nous sommes en contact. Engagement et plaidoyer sur le respect des droits de l’Homme au niveau du Parlement européen, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Conseil des droits de l’Homme à Genève.
Quelles sont vos méthodes ?
Régine Villemont :
Comment on s’y prend ? Courriers, rendez-vous, lobbying sur place aux différentes sessions. C’est lourd, pas toujours satisfaisant .Le sujet n’est pas forcément au cœur des préoccupations des élus, également influencés par les sujets d’actualité plus chaude ou « pris en main » par le lobby marocain.
L’AARASD assure aussi le suivi de projets dans les campements : accueil des enfants l’été par plusieurs comités locaux, formation des professeurs de français de collège, coopération éducative et sportive initiée par la FSGT, appui aux projets culturels et universitaires de deux associations sahraouies, appui à la maison d’édition Harmattan RASD. Avec le Sahara occupé, c’est très souvent difficile car le Maroc nous empêche d’y entrer. Nous assurons, en outre, depuis 4 ans, le parrainage de prisonniers politiques sahraouis (www.ecrirepourlesliberer.com).
Quels sont, dans ces activités, vos partenaires ?
Régine Villemont :
Nos partenaires sont d’abord associatifs et se recrutent plutôt dans les formations politiques de gauche. Le parti socialiste est bien engagé localement mais prudent au niveau national. Le parti communiste et le Front de gauche, qui ’ont pas de réserve de type « raison d’état », sont davantage engagés tant au niveau local que national. Cet engagement correspond le plus souvent à des positions de principe mais il se concrétise vraiment quand des personnes de conviction s’y engagent. Nous sommes également en contact étroit avec le CRID et le CCFD et les principales associations des droits de l’Homme.
Peut-on pour autant parler d’alliés ?
Régine Villemont
La France n’est pas l’Espagne même si les Sahraouis estiment que c’est en partie la responsabilité de la France si la question sahraouie n’est pas réglée. Je n’ai pas le sentiment que cette appréciation soit largement partagée.
Les partis et associations défendent plutôt des positions de principe relatives au respect des règles du droit international contenues dans La Charte des Nations unies et ,plus récemment, le respect des droits de l’Homme. Le sujet particulier Sahara occidental en fait partie et c’est justement le rôle d’une association, comme celle des Amis de la RASD, de mettre en évidence l’importance de ce sujet.
Les socialistes sont au pouvoir depuis près de trois ans ;quel bilan tirez-vous quant au rapport de la France avec la question du Sahara occidental ?
Régine Villemont :
L’élection de François Hollande en 2012 n’a pas suscité les grands espoirs que l’élection de François Mitterrand avait provoqués dans les campements en 1981. La situation n’est pas comparable et les analyses faites en 1981 ne tenaient pas assez compte des puissants intérêts
qui relient la France au Maroc, tant matériels, financiers que politiques. C’est Madame Mitterrand, en 1989, qui avait osé briser le tabou mais avait été contrainte de « céder » aux pressions d’Hassan II en renonçant au tout dernier moment à se rendre dans les campements. Donc, en France, les raisons d’Etat et les influences et sympathies pour le Maroc s’exercent fortement. En 2012, Hollande au PS n’était pas le candidat préféré du Makhzen, ni Ayrault qui avait pris, alors qu’il était Président du groupe socialiste à l’Assemblée, des positions claires sur la question du Sahara occidental. La diplomatie française s’est toujours efforcée de tenir un équilibre strict dans ses relations avec le Maroc et l’Algérie, avec, cependant, des nuances suivant la sensibilité des majorités au pouvoir. Aussi, le Président Hollande, connu pour une sympathie ancienne pour l’Algérie, doit-il en faire plus pour préserver les bonnes relations avec le Maroc ?
Le contexte sécuritaire au Sahel intervient aussi dans les analyses du contexte régional, compte-tenu également de la place que la France y a prise. Le Maroc essaie, depuis plusieurs années, de convaincre ses partenaires occidentaux de la proximité entre le Front Polisario et El Qaida. C’est une « thèse » qui a du mal à prendre ; elle n’est retenue que par quelques journalistes ou consultants au service de la monarchie.
La récente réconciliation franco-marocaine, après l’interruption des relations judiciaires entre les deux pays, a été conclue au prix de grandes complaisances françaises, tant sur le plan judiciaire qu’au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU où la solution de l’autonomie , défendue par le Maroc, et qui ne figurait plus dans les courriers du Quai d’Orsay depuis deux ans, est réapparue, en avril dernier ,dans la déclaration de l’ambassadeur de France à l’ONU.
Un groupe d’étude Sahara occidental existe à l’Assemblée nationale .Il est co-présidé par un député communiste et un député socialiste. Ce groupe d’étude a adressé, en avril, au ministre des Affaires étrangères, une question écrite, dont nous venons de recevoir la réponse. Toutes les prudences françaises s’y retrouvent : soutien aux résolutions de l’ONU, au processus de négociations mais le mot important « autodétermination » n’est pas utilisé. Signalons qu’il n y a pas non plus le mot d’« autonomie » !
Compte-tenu de ces difficultés, le Front Polisario et les associations solidaires mobilisent d’autres institutions, d’autres pays pour conforter leur légitimité, leurs droits, concernant, en particulier, les traités passés par le Maroc, les instances européennes ou internationales où les exigences du respect des droits de l’Homme. L’Amérique Latine et Centrale est un terrain où les reconnaissances de la RASD se maintiennent durablement, les influences marocaines y sont moins puissantes qu’en Afrique, avec des coopérations effectives avec Cuba et le Venezuela.
Qu’avez-vous à ajouter pour conclure ?
Régine Villemont :
Je souhaite saluer le rôle de l’Afrique et de son organisation régionale. En effet, dès le début du conflit, elle s’est engagée pour défendre la décolonisation du Sahara occidental. Elle a proposé ,aux côtés de l’ONU, des solutions de paix avec, en particulier ,la résolution AHG104 et surtout ,devant l’intransigeance marocaine ,à discuter de paix et d’application du droit de la décolonisation et a admis, en son sein, en 1984, la RASD.
Cette année 2015, l’Union africaine a poursuivi avec davantage de rigueur cet engagement et, désormais, toutes ses instances s’impatientent de la non-application du Plan de paix et du référendum d’autodétermination. Ce qui est bien légitime puisque l’UA est partie prenante, aux côtés de l’ONU, du plan de règlement négocié depuis 1988 !
Je veux saluer également le rôle de l’Algérie aux côtés du peuple sahraoui depuis 1976. Grâce à l’Algerie la RASD a pu disposer d’un territoire d’exil où, depuis 40 ans, cette jeune république construit, dans les pires conditions, ses institutions et impulse les transformations de sa société. L’Algérie aide aussi beaucoup matériellement la RASD : solidarité d’Etat et solidarité largement populaire, en témoignent les caravanes humanitaires et l’accueil des enfants sahraouis chaque été.
Entretien réalisé par Mohand Biri
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