Le monde légué à nos petits-enfants Par Noam Chomsky

Dans cet entretien accordé au journaliste David Barsamian et publié par le site américain Jacobin, Noam Chomsky aborde des sujets tels que l’EI, Israël, le changement climatique et le type de monde dont les futures générations pourraient hériter. Chomsky explique les racines de l’ EI et les raisons pour lesquelles les Etats Unis et leurs alliés sont responsables de l’ émergence de ce groupe . En particulier, il démontre que l’invasion de l’Irak en 2003 a provoqué des divisions sectaires qui ont généré la déstabilisation de la société irakienne. Ceci favorisa un climat dans lequel les radicaux subventionnés par l’Arabie Saoudite ont pu proliférer.  L’entretien porte également sur le massacre le plus récent commis par Israël dans la bande de Gaza, en le replaçant dans le contexte du rôle vital qu’Israël a toujours joué pour les Etats-Unis. Puis Chomsky revient sur le phénomène raciste actuel de bouc-émissaire infligé aux immigrants guatémaltèques, en remontant aux conditions qui les ont amenés à quitter leurs foyers, en raison de la destruction brutale de leur pays par l’administration Reagan. Enfin, Chomsky partage ses réflexions sur le mouvement grandissant en faveur de mesures de justice concernant le climat et explique pourquoi selon lui, il s’agit du problème le plus urgent de notre époque. « Il existe peu de voix aussi vitales pour la Gauche que celle du professeur Chomsky.

 

Le Moyen – Orient est la proie des flammes, de la Libye à l’Irak. De nouveaux groupes djihadistes émergent. Actuellement, les projecteurs sont tournés vers l’Etat islamique. Qu’en est-il de cette organisation et de ses origines ?

 

Un récent entretien intéressant vient de paraitre il y a quelques jours avec Graham Fuller, un ancien officier de la CIA, un des analystes du renseignement appartenant à la pensée dominante,  parmi les plus influents sur le Moyen Orient. Le titre est «  Les Etats Unis ont créé l’ EI. Voici l’ une des théories conspirationnistes, parmi les milliers qui circulent au Moyen Orient.

Mais il s’agit là d’une autre source, au cœur même du pouvoir des Etats Unis. Il se hâte de souligner qu’il ne veut pas dire par là que les Etats Unis ont délibérément fait naître l ’EI en le subventionnant . Son argument – et je pense qu’il est pertinent – consiste à affirmer que les Etats-Unis ont été à l’ origine du contexte qui a permis à l’ EI d’ émerger et de se développer . En partie, il s’agissait tout simplement de la traditionnelle approche massue : écrasez ce que vous détestez. En 2003, les Etats Unis et la Grande Bretagne ont envahi l’Irak, un crime majeur. Cet après-midi même, le parlement britannique a accordé au gouvernement l’autorité lui permettant de bombarder l’Irak de nouveau.

L’invasion avait été dévastatrice pour l’Irak. Le pays avait déjà été pratiquement détruit, tout d’ abord, en raison de la guerre contre l’Iran – durant toute une décade – guerre durant laquelle l’Irak avait été soutenu par les Etats Unis puis ensuite, vint la décennie des sanctions.

Elles furent qualifiées de « génocidaires » par les diplomates internationaux respectés qui les administraient et à l’époque, se retirèrent de leurs fonctions en signe de protestation contre ces sanctions. Elles dévastèrent la société civile, renforcèrent le dictateur et obligèrent la population à dépendre de lui pour leur survie. Cela explique probablement la raison pour laquelle il n’eût pas le même sort que toute la vague des autres dictateurs qui furent renversés.

Finalement, les Etats Unis décidèrent d’attaquer le pays en 2003. L’attaque a été comparée par de nombreux Irakiens, à l’ invasion mongole, mille ans plus tôt . Très destructrice. Des centaines de milliers de gens furent tués, des millions de personnes furent déplacées également, entraînant des millions de réfugiés, la destruction d’un patrimoine archéologique inestimable et des richesses datant de l’époque sumérienne.

L’un des effets de l’invasion fut d’instaurer immédiatement des divisions sectaires. En premier lieu, le maléfice de la force d’invasion et de son directeur civil, Paul Bremer, fut de diviser les Sunnites, Chiites, Kurdes et de les dresser les uns contre les autres. En à peine deux ans, un conflit sectaire brutal et à grande échelle, s’en suivi , provoqué par  l’ invasion. On peut constater ce phénomène à Baghdad. Si on prend une carte de la ville, par exemple de 2002, elle apparait comme une ville mixte : Sunnites et Chiites vivent dans les mêmes quartiers, ils se marient entre eux  En réalité, parfois ils ignoraient même qui était sunnite, qui était chiite . C’est un peu comme si vous attachiez de l’importance à l’appartenance de vos amis à tel ou tel groupe protestant. Il existait des différences mais aucune hostilité ne se manifestait. En fait, durant deux ans, les deux tendances affirmaient qu’il n’y aurait jamais de conflits Sunnites contre Chiites. Nous sommes bien trop mêlés au cœur de nos vies, dans les endroits où nous vivons etc … A l’horizon 2006, une guerre farouche faisait rage. Ce conflit se répandit dans toute la région. A l’heure actuelle, la région entière est gangrénée  et dévastée par les conflits opposant Sunnites et Chiites.

La dynamique naturelle d’un tel conflit veut que les plus extrémistes finissent par l’emporter. Ils avaient des racines, résidant au sein même de l’allié majeur des USA, l’Arabie Saoudite. Cette dernière est l’allié essentiel des USA dans la région depuis l’implication directe des USA dans cette ère géographique, en réalité, depuis la fondation de l’Etat saoudien. Il s’agit d’une sorte de dictature familiale, le pays possédant une énorme ressource en pétrole. La Grande Bretagne, avant les USA, avait opté en faveur de l’Islamisme radical plutôt qu’au nationalisme sécularisé. Et lorsque les USA la remplacèrent, ils choisirent la même option. L’Islam radical est au cœur de l’Arabie Saoudite. Il s’agit de l’Etat le plus extrémiste et radical à travers le monde. En comparaison, l’Iran apparait comme un pays tolérant et moderne et, bien entendu, sans parler des Etats sécularisés du Moyen Orient arabe. Ce pays n’est pas seulement dirigé par un courant extrémiste de l’Islam, le courant salafiste wahhabite mais il s’agit également d’un Etat à vocation missionnaire.  C’est ainsi qu’il utilise ses énormes ressources en pétrole afin de propager ses doctrines à travers toute la région. Il implante des écoles, des mosquées, des représentants religieux dans toute la région, du Pakistan jusqu’en Afrique du Nord. Une variante extrémiste de l’extrémisme saoudien est représentée par la doctrine revendiquée par l’EI. C’est ainsi qu’il s’est déployé idéologiquement en puisant sa source à partir de la conception de l’Islam le plus extrémiste, la version saoudienne, mais aussi à la suite des conflits engendrés par l’intervention massive des USA qui a mis l’Irak à terre. Ces conflits ont dès lors proliféré un peu partout.

Voilà ce que veut dire Fuller L’Arabie Saoudite, non seulement fournit le noyau idéologique qui a fait naître l’extrémisme radical de l’EI mais en outre, elle l’a financé. Non pas le gouvernement saoudien, mais des Saoudiens aisés, des Koweitiens richissimes ainsi que d’autres donateurs qui procurent à ce courant, des fonds et un soutien idéologique, via des groupes qui émergent un peu partout. Cette attaque contre la région orchestrée par les USA et la Grande Bretagne est à l’ origine de ce phénomène. Elle en est la source.  C’est bien ce que signifie Fuller en disant que les Etats Unis ont créé l’ EI. Il est certain que plus les conflits se développeront, plus ces courants génèreront encore plus d’extrémisme. Les courants les plus brutaux et les plus virulents prévaudront. C’est ce qui se passe lorsque la violence devient le seul mode d’interaction. C’est pratiquement inéluctable. C’est le cas dans certains quartiers, cela s’applique aussi dans les affaires internationales. La dynamique est prévisible et elle est en cours. S’ils parviennent à détruire l’EI, ils feront face à un courant encore plus radical.

Et les médias sont aux ordres. Dans le discours d’Obama du 10 septembre, il a cité deux pays qui représentaient des issues heureuses à la stratégie contre-insurrectionnelle des USA . Quels étaient ces deux pays ? La Somalie et le Yémen. Les mâchoires auraient dû se déchainer à travers le pays, mais ce fût le silence total – point de commentaires – le lendemain. Le cas de la Somalie est particulièrement atroce. Celui du Yémen l’est passablement aussi. La Somalie est un pays extrêmement pauvre. Je ne relaterai pas ici toute son histoire. Mais l’une des grandes réalisations, l’une des grandes satisfactions de la politique contre la terreur de l’administration Bush a consisté à mettre fin à l’activité d’une association caritative, l’association Barack, qui ravitaillait en carburant le terrorisme en Somalie. Grande excitation dans la presse. Voilà une sacrée réalisation …Deux mois plus tard, les faits ont fini par être révélés. L’association caritative n’avait rien à voir avec le terrorisme en Somalie : il s’agissait de financements, de business, de soins et d’hôpitaux. Cela visait à maintenir la Somalie sous perfusion – étant ruinée et accablée. En mettant fin à l’action de l’organisation, l’administration Bush a terminé le travail. Telle fût sa contribution contre l’insurrection. Quelques lignes furent écrites sur le sujet. On peut les consulter dans des livres consacrés à la finance internationale. Voilà ce qui a été réservé à la Somalie.

Il fût un temps où les soit – disant tribunaux islamiques, c’est ainsi qu’ils se définissaient : une organisation islamique, avaient réalisé une sorte d’évaluation de la paix en Somalie. Un régime pas vraiment acceptable mais du moins, il était pacifique et les gens le toléraient plus ou moins. Les USA quant à eux, refusèrent de le reconnaitre et apportèrent leur soutien à une invasion éthiopienne en vue de le renverser et de le replonger dans une effroyable tourmente. Voilà un résultat à mettre de nouveau à l’actif des USA. Le Yémen a de son côté, a connu ses propres vicissitudes.

Retournant à la Radio Publique Nationale et au cours de l’édition matinale, le journaliste David Greene, a accordé un entretien à un reporter basé à Gaza, en introduisant son commentaire dans les termes suivants : « Les deux parties avaient souffert d’énormes pertes.» Alors je me suis fait la réflexion en moi-même, cela veut-il dire qu’Haïfa et Tel Aviv étaient réduits à des décombres, comme l’était Gaza ?

Vous rappelez – vous les remarques faites par Jimmy Carter au sujet du Vietman ?

Non seulement je m’en souviens mais je pense avoir été la première personne qui soit intervenue sur le sujet et je suis encore à ce jour, pratiquement la seule personne à faire un commentaire sur son intervention. Carter, avocat des droits humanitaires, alors timidement interrogé au cours d’une conférence de presse en 1977, sur la question de savoir si nous aurions quelques responsabilités quant à la nécessité d’aider les Vietnamiens après la guerre, ce dernier affirma que nous n’avions aucune dette envers ce peuple – « La destruction avait été réciproque.» Cela ne suscita aucun commentaire. Son successeur alla plus loin encore.

Quand deux ans plus tard, George Bush père, en tant qu’homme d’Etat, aborda la question des responsabilités après la guerre au Vietnam, il déclara : Seul un problème moral subsiste concernant l’après-guerre au Vietnam. Les Nord Vietnamiens ne se sont pas assez investis dans la recherche et le rapatriement des ossements des pilotes américains. Ces pilotes innocents qui furent tués en survolant l’Iowa central, par des Vietnamiens assassins, alors qu’ils étaient en train de répandre leurs semences ou autre. Toutefois, expliqua t- il « Nous sommes un peuple bienveillant, aussi, nous leur pardonnerons cela, mais nous ne leur permettrons pas d’intégrer le monde civilisé » Sans commentaire …

Un des aspects que les officiels israéliens ne cessent de mettre au-devant de la scène et ceci est relayé à satiété par les médias, n’est autre que la Charte du Hamas, et ce, jusqu’ à la nausée. Ils n’acceptent pas l’existence de l’Etat d’Israël, ils veulent le rayer de la carte. Vous avez quelques informations concernant la Charte et le contexte dans lequel elle a été rédigée.

Apparemment, la Charte a été produite par une poignée d’individus, peut – être deux ou trois, en 1988, à une époque où Gaza était soumise à une terrible attaque d’Israël. Vous vous souvenez des ordres de Rabin. Il s’ agissait du premier soulèvement non violent auquel Israël répondit de façon très violente,  tuant des leaders, utilisant la torture, brisant des os, en application des ordres de Rabin, etc… Et, c’est dans ce contexte – en plein soulèvement, qu’un nombre infime d’ individus ont émergé, en se revendiquant de ce qu’ils ont appelé, la Charte du Hamas. Depuis, personne n’y a accordé d’intérêt.. Il s’agissait là d’un document déplorable, si on l’analyse bien. Depuis ce temps-là, les seules personnes qui n’ont pas manqué d’y faire référence – sont les services secrets israéliens et les médias des USA. Ils l’adorent. Personne ne s’en préoccupe. Khaled Mashaal, dirigeant politique de Gaza, il y a des années déjà affirmait : Ecoutez, c’est du passé, ceci est révolu. Ce document ne représente rien. Mais, cela n’a aucune importance. Pour la propagande, la Charte garde sa pertinence.

Il existe un autre document, mais ce dernier n’est pas qualifié de Charte, il contient les positions de principes du gouvernement de coalition en Israël, non pas de quelque groupuscule soumis à une attaque, mais la coalition gouvernementale, le Likoud. Le noyau idéologique du Likoud est Herut de Menahem Begin. Ils détiennent des documents fondateurs. Leurs documents stipulent que la Jordanie actuelle fait partie de la terre d’Israël ; Israël ne renoncera jamais à sa revendication sur la terre de Jordanie. Ce qui est appelé Jordanie de nos jours, ils la considèrent comme terre historique d’Israël. Ils n’ont jamais renoncé à cela, mais il n’a Jamais été résilié, il reste intact de nos jours. – le contenu stipule qu’il n’y aura jamais d’Etat palestinien à l’ouest du Jourdain. En d’autres termes, notre but ultime, par principe, est l’expansion d’Israël. Ce ne sont pas que des mots. Nous avançons jour après jour dans le but de réaliser cela. Personne n’a jamais fait mention des doctrines fondatrices du Likoud. Moi non plus, car personne ne les prend au sérieux. En réalité, c’était aussi la doctrine de la majorité du mouvement des kibboutz. Achdut Ha- Avodah, qui représentait la majorité dans le mouvement des kibboutz, prônait les mêmes principes à savoir que les deux rives du Jourdain nous appartiennent. Il existait un slogan « cette rive du Jourdain et l’autre également ». En d’autres termes, à la fois l’ouest et l’est de la Palestine nous appartiennent. Ce n’est pas négociable pour Israël. Les véritables programmes électoraux sont encore plus édifiants. Plus éclairants encore sont les actes en tant que tels, qui jour après jour mettent en œuvre la destruction de la Palestine, non pas à travers des déclarations. Mais nous devons évoquer la charte du Hamas.

Il existe un historique significatif concernant la soi-disant charte de l’ OLP. Vers les années 1970, l’ancien chef des renseignements militaires israéliens, Yehoshafat Harbaki publia un article dans un grand journal israélien dans lequel il mit en évidence un point appelé la Charte de l’OLP ou une dénomination similaire. Personne n’en avait entendu parler jusqu’alors, personne n’y attachait de l’importance. Et la charte stipulait : Voici notre but. Notre objectif est notre terre. Nous allons reconquérir notre terre. En fait, les propos ne se différenciaient pas des revendications de Herut, parle passé. Le sujet s’amplifia immédiatement et fit la une des journaux. J’ai rencontré Harbaki deux ans plus tard. Il se définissait comme une colombe, incidemment. Il finit par devenir vraiment critique à l’ égard de la politique d’Israël. C’était un type intéressant. Nous avons eu une discussion ici, au MIT. Justement, à cette époque, il y avait des informations de fond dans la presse arabe que je lisais et où il était souligné que les Palestiniens songeaient à renoncer officiellement à la charte car elle représentait une entrave aux pourparlers. Alors, je lui ai demandé « pourquoi avez-vous mis cette charte sous les feux des projecteurs, pour la première fois, au moment même où ils pensaient y renoncer ? » Il me fixa avec un regard vide que l’on apprend à reconnaitre quand on parle avec des espions. Ils sont entraînés à simuler qu’ils n’ont pas compris ce que vous êtes en train de dire, alors qu’ils ont parfaitement compris. Il répliqua : « Oh, je n’ai jamais entendu parler de ça » Ce qui est parfaitement inconcevable. Il est inimaginable que le dirigeant des renseignements israéliens ne sache pas ce dont j’ai moi- même connaissance, en lisant des extraits dans la presse arabe de Beyrouth. Bien entendu, il était au courant. Il y a toute raison de croire qu’ il décida de sortir l’affaire au grand jour, car il reconnaissait précisément, ce qui sous-entend – les services secrets israéliens reconnaissaient que résidait là, un formidable outil de  propagande et qu’ il serait préférable de faire en sorte que les Palestiniens conservent le document tel quel . Bien sûr, si on attaque cette charte, ils vont répliquer en retour : nous n’allons pas proposer d’y renoncer sous la pression ; ce qui est en train de se produire concernant la charte du Hamas. S’ ils cessaient d’en parler, tout le monde l’oublierait, car elle n’a pas de sens.

Qu’est- ce qui explique le soutien quasi unanime à Israël au Congrès ? Même Elizabeth Warren, haute sénatrice démocrate ralliée du Massachusetts, a voté en faveur de la résolution pour justifier le droit de riposter.

Elle ne connait probablement rien concernant la situation au Moyen Orient. Je pense que c’est évident. Considérez les armes de pré- positionnement installées en Israël pour le compte des USA dans le cadre des actions militaires menées dans la région. Ceci n’est qu’un infime aspect d’une alliance très étroite sur le plan militaire et sur le plan des renseignements – alliance qui remonte à bien longtemps. Elle s’est vraiment renforcée en 1967, même si certaines prémisses existaient déjà. L’armée et les renseignements des USA considèrent Israël comme une base de premier plan. En fait, une des plus intéressantes révélations de Wikileaks a mis en évidence la hiérarchie des centres stratégiques, conçue par le Pentagone à travers le monde. Un nombre restreint parmi eux ont une telle importance stratégique, qu’il nous faut les protéger coûte que coûte. L’un d’entre eux se trouve à quelques miles d’Haïfa, les les industries militaires Rafael, une installation militaire de première importance. C’est à cet endroit qu’une grande partie de la technologie des drones a été développée entre autres. Il s’agit d’une technologie d’un intérêt stratégique tel, pour les USA que la zone est de toute première importance à travers le monde. Rafael comprend cela, à tel point, qu’ils ont en réalité transféré leurs quartiers de commandement à Washington, où se trouve le financement. Cela est révélateur concernant le type de relations à l’œuvre.

Et tout cela va bien au-delà. Les investisseurs des USA adorent Israël. Warren Buffet vient d’acheter une entreprise israélienne pour, me semble- t- il, deux milliards de dollars et a fait savoir qu’en dehors des USA, Israël était le meilleur endroit pour les investissements américains. Et de grandes entreprises, telles que Intel et autres, sont en train d’investir massivement en Israël et continuent à le faire. C’est un client valable : stratégiquement localisé, compréhensif, il applique les desiderata des USA, fiable en matière de répression et de violence. Les USA l’ont maintes fois utilisé comme recours afin de contourner des appels en faveur de restrictions concernant des actes de violence, émanant de congrégations ou de mouvements populaires.

On fait beaucoup de bruit de nos jours au sujet d’enfants fuyant l’Amérique Centrale, en provenance du Guatémala. Vous pouvez voir une photo de l’un d’entre eux, ici, dans mon bureau. Ils fuient leur pays dévasté, après l’attaque contre les Indiens mayas qui doit être qualifié de génocide, au début des années quatre-vingt. Il s’agit d’une femme maya, sur la photo, en fait. Ils n’ont jamais pu échapper au massacre et nombreux parmi eux sont en train de fuir. Reagan, qui était extrêmement violent et brutal, ainsi qu’un horrible raciste, voulait fournir un soutien direct à l’attaque de l’armée guatémaltèque, littéralement génocidaire contre les Indiens mayas. Une résolution du Congrès l’en empêcha, dès lors, il se tourna vers ses clients terroristes. Le plus important n’était autre qu’Israël. Taïwan également et deux ou trois autres. Israël fournit les armes à l’armée guatémaltèque qui aujourd’hui encore, utilise des armes israéliennes – elle met à disposition de cette armée, les cadres formateurs pour les forces terroristes parallèles qui essentiellement assumèrent l’attaque génocidaire.

Voila l’un des services rendus par Israël. Ils firent de même en Afrique du Sud. En fait, ceci provoqua un incident intéressant avec le grand héro Elie Wiesel. Au milieu des années quatre-vingt, Salvador Luria, un de mes amis, lauréat du Nobel de biologie, un militant avait connaissance de tout ceci. Ce n’était pas un grand secret. Il me demanda de réunir des articles parus dans la presse en Hébreu qui témoignaient de la participation d’Israël lors des attaques génocidaires au Guatémala- pas seulement une participation, un rôle de commandement- car il voulait les envoyer à Elie Wiesel – stipulant dans une lettre courtoise : en tant que compagnon lauréat du Nobel, je voudrais porter ceci à votre connaissance. Pourriez-vous user de votre influence – sans toutefois lui demander de faire une déclaration publique – cela aurait été trop exiger – mais de manière privée, serait – il possible de diffuser le message auprès de personnes influentes de votre connaissance, à un niveau élevé du pouvoir en Israël, tout en soulignant qu’il était intolérable de participer à un génocide. Il ne reçut jamais de réponse.

Quelques mois plus tard, je pris connaissance d’un entretien dans la presse en Hébreu dans laquelle on n’apprécie guère Elie Wiesel. On le considère comme un charlatan et un imposteur. L’une des questions au cours de l’entretien fût : « Que pensez- vous de la participation d’Israël dans les assauts génocidaires au Guatémala ? » L’article signale que Wiesel soupira puis dit : J’ai reçu une lettre d’un co- lauréat du Nobel attirant mon attention sur ces actes et me demandant si je pouvais faire quelque chose en privé, afin d’atténuer cet enfer, en quelque sorte. Je ne peux exprimer quoique ce soit – même de manière privée – qui pourrait empêcher l’implication d’Israël dans un génocide. Il s’agit d’ Elie Wiesel, le grand héro moral. En soi, cette histoire est étonnante. Actuellement, des enfants sont en train de fuir de trois pays. Y a- t- il une différence ? Oui, le Nicaragua est l’un des pays qui dans les années quatre- vingt, a pu se défendre lui- même contre les forces américaines anti- guérilla, soutenues et armées par les USA et son client israélien, dans les pires situations. Voila, c’est ainsi que ça fonctionnait. Un grand optimisme règne actuellement, le flot d’enfants s’est réduit. Pourquoi ? Car on a exercé des pressions sur le Mexique et on lui a intimé l’ordre d’utiliser la force afin d’empêcher les victimes de notre violence de fuir en direction des USA pour survivre. Alors maintenant, les autorités appliquent nos directives et les gens sont moins nombreux à pouvoir atteindre la frontière. Ceci est à mettre au crédit de la grande politique humanitaire d’Obama. Incidemment, le Honduras prend les commandes. Pourquoi le Honduras ? Car en 2009, il y eut un coup d’Etat militaire au Honduras qui renversa le président Zelaya qui entreprenait la mise en place de quelques mesures de réformes vraiment nécessaires. Il fut démis et renvoyé à l’étranger. Je ne m’étendrai pas sur les détails mais tout ceci se conclut avec les USA, sous Obama, l’un des rares pays à avoir reconnu le régime porté par un coup d’état militaire et l’ élection qui eut lieu sous l’ égide de son mandat s’ est avéré l’ un des plus horribles épisodes de ce pays, pire encore qu’auparavant, dans la lignée des génocides et de la violence. Tant et si bien que les gens émigrent. Et en conséquence, nous nous devons de les renvoyer et de nous assurer qu’ils retournent bien dans l’antichambre de la mort.

De nos jours, il semble que l’opportunité s’offre à la population kurde d’Irak de concrétiser une sorte d’autonomie, une sorte d’indépendance, un souhait formulé depuis longtemps et qui rencontre en réalité, les intérêts israéliens en Irak. Ils soutiennent les Kurdes, plutôt de manière clandestine mais il est bien connu qu’Israël a œuvré dans le but d’une fragmentation de l’ Irak. Et le processus se poursuit. Et il s’agit là d’un des points de divergence entre Israël et les USA. Les provinces kurdes n’ont pas d’accès à la mer. Le gouvernement irakien a bloqué leurs exportations de pétrole, leur seule ressource, et, bien entendu, s’oppose à leur revendication d’un Etat indépendant. Les USA jusqu’ici ont soutenu cette position. Clandestinement, évidemment, un flot de pétrole traverse la frontière, en direction de la Turquie en provenance de la région kurde. C’est là encore une relation très complexe. Barzani, le dirigeant kurde irakien a rendu visite à la Turquie, il y a un an, je pense, et il a fait quelques commentaires pour le moins étonnants. Il était vraiment critique à l’ égard de la direction des Kurdes turcs et essayait ouvertement d’établir de meilleures relations avec la Turquie, qui a violemment réprimé les Kurdes turcs.

La plus grande partie des Kurdes dans le monde se trouve en Turquie. On peut comprendre la raison qui l’amène à agir ainsi. Il s’agit là d’un débouché sur le monde extérieur. Mais, la Turquie a une attitude ambivalente à ce sujet. Un Kurdistan indépendant dans, disons, le nord de l’Irak, qui jouxte les régions kurdes de la Turquie ou encore, dans les zones kurdes syriennes le long de la frontière, potentiellement, du point de vue turc, voilà qui pourrait encourager les séparatistes ou même des tentatives en faveur de l’ autonomie dans le sud-est de la Turquie, une région largement kurde. Les autorités turques luttent contre cette option depuis la naissance de la Turquie moderne en 1920, avec brutalité, en réalité. Donc leur attitude est ambigüe sur le sujet. Le Kurdistan est parvenu d’une certaine façon, en obtenant des tankers à prélever du pétrole Kurde. Ces tankers transitent ici et là en Méditerranée. Aucun pays n’accepte ce pétrole, si ce n’est probablement, Israël. On ne peut en être certain, mais il semble qu’il en prélève une certaine quantité. Les tankers Kurdes cherchent une solution afin de décharger leur pétrole dans la plupart des pays de l’est méditerranéen. Cela ne prend pas des proportions telles qui puissent permettre au Kurdistan de fonctionner, ne serait-ce que de payer ses fonctionnaires.

Traduit  de l’américain par Martine Lescot pour l’Institut Frantz Fanon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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